par Loïc Chahine · publié lundi 1 février 2016 · ¶¶¶¶
Pourquoi écrit-on des sonates ? Notre imaginaire, forgé en grande partie par le xixe siècle et la vision que le Romantisme s’est faite de l’artiste, voudrait que ce soit pour répondre à une nécessité intérieure, poussé par le désir de s’accomplir par l’expression dans son art. Cette idée est violemment contredite par la genèse des sonates KV 301 à 306 de Mozart, dites Kurfürstin-Sonaten ou Pfalz-Sonaten, parce que « dédiées à la princesse électrice (Kurfürstin) Elisabeth Maria, épouse de Karl Theodor du Palatinate (Pfalz) », comme nous l’indique Mathieu Dupouy dans le texte de présentation du présent disque. Le pianofortiste nous retrace l’histoire de ces sonates : Mozart voulait quitter Salzbourg, il s’agissait donc de voyager pour se faire connaître, et de se faire connaître aussi par la publication — qui, par ailleurs, peut également rapporter un peu d’argent.
Mais « pour gagner de l’argent » (parce qu’in fine, que ce soit par la vente des sonates ou parce qu’on s’est rendu plus célèbre et qu’on a pu obtenir un poste, il s’agit bien de rémunération) ne veut pas dire qu’on ne mette pas de cœur à l’ouvrage. Il s’agit plutôt de se montrer sous un jour avantageux tout en suivant (au moins un peu) le goût du public. Le public a-t-il goûté les 6 Duetto à Clavicembalo e Violino de Schuster ? Mozart en proposera donc aussi !
Les six sonates portent la marque de cette relative recherche d’adéquation avec le goût du temps : on pourra regretter que cinq d’entre elles ne soient qu’en deux mouvements, nous privant ainsi d’un mouvement lent central. On pourra aussi remarquer qu’à titre de compensation, si l’on peut dire, le second mouvement se situe souvent dans la demi-teinte, dans une semi-gaieté où l’image de la mélancolie se laisse entrevoir avec une grâce et une douceur (on repère ainsi deux fois l’indication Andante grazioso) irrésistibles.
Car si Mozart suit le goût du public, si, comme l’écrit Mathieu Dupouy, il « semble se soucier beaucoup moins d’exprimer ses propres sentiments que d’exprimer ceux des autres » — ce qui, au demeurant, répond bien à la visée du classicisme : exprimer la nature humaine qui est immuable, et non chercher en soi l’individualité —, et si ce point rappellera la composition d’une pièce de théâtre (« tour à tour accusateur et défenseur », dira Sacha Guitry1) et, dès lors, d’un opéra, on reconnaît bien la pâte mozartienne et le doute n’est guère permis à l’écoute.
Au demeurant, que font les interprètes, en particulier dans le domaine de « l’historiquement informé », si ce n’est chercher à exprimer non leur pensée, mais celle de l’auteur et de son époque ?
Pour servir ces sonates, David Grimal a revêtu « son » Stradivarius de cordes en boyau et a pris un archet de John Dodd (1752–1839) fabriqué vers 1770. Mathieu Dupouy ne se contente pas de signer le (très intéressant) texte du livret : il se met aussi au pianoforte Grabner frères de 1791 que conserve la Philharmonie de Paris / Musée de la musique, le plus ancien conservé de ce facteur.
Loin de chercher un expressionnisme, les deux interprètes mettent en valeur la forme ; l’enchevêtrement de mélodies est admirable de clarté. On se délecte avec une certaine culpabilité de la manière dont Mathieu Dupouy fait sonner la basse à certains endroits, de la conduire (comme dans le deuxième thème de l’Allegro con spirito de la sonate en sol majeur KV 301, ici véritablement spirituoso), de son toucher fin, de sa maestria aimable, sans rien de compassé ni d’arrogant (qui apparaît avec éclat dans l’Allegro de la sonate en mi bémol majeur KV 302).
Face à lui — car dans cette lecture, les deux musiciens semblent davantage face à face que côte à côte : c’est un choix interprétatif tout à fait bien défendu ici et qui ne brise en rien l’équilibre entre les deux instruments —, David Grimal met au service de la partie de violon un engagement de tous les instants, y compris dans les passages qui semblent davantage destinés à « l’accompagnement » du piano. Les deux partenaires jouent — et cette notion de jeu (non de joute), avec ce qu’elle a de ludique et de plaisant, a toute sa place ici — d’égal à égal.
L’interprétation que livrent ici Mathieu Dupouy et David Grimal est placée avant tout sous le signe de l’élégance ; une élégance vive, parfois enlevée (l’Allegro final de la sonate en ré majeur KV 306), parfois plus pensive (le Tempo di Menuetto de la sonate en mi mineur KV 304), jamais altière et toujours humaine.
La citation du titre est empruntée à l’Ars amatoria d’Ovide, I, 513. Nous avons été séduits, au moment de choisir ce titre, par la proximité entre l’adjectif mundus (d’où dérive munditia, “l’élégance, la propreté”) et le mot “monde”, qui rappelle la mondanité dont ces sonates sont, par endroits, empreintes. Le “monde”, mundu, c’est ce qui est mundus, a, um, “ordonné, propre, harmonieux”.
1. Sacha Guitry, conférence donnée au Théâtre des Variétés le 9 octobre 1934 (dont existe un enregistrement audio). ↑
Sonate en sol majeur, I, Allegro con spirito
Sonate en mi bémol majeur, II, Rondeau - Andante grazioso
INFORMATIONS
Mathieu Dupouy, pianoforte Gräbner 1791 (collection du Musée de la musique, Paris)
David Grimal, violon Stradivarius Ex-Roederer 1710, archet John Dodd ca. 1770
1 CD, 77’56, Label-Hérisson, 2015.
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