par Wissâm Feuillet · publié jeudi 22 septembre 2016 · ¶¶¶¶
Il est des pièces, même modestes, sans prétention, à l’intérêt musicologique tout relatif, dont la joie est pourtant immédiatement communicative et qui nous transportent avec une grande efficacité dans un univers musical marqué. C’est qu’elles sont le reflet de leur époque, la quintessence d’un esprit. L’esprit de salon du début du xixe siècle, ses thèmes badins, ses musiques que l’on dirait presque d’ambiance si le vocable n’était pas si péjoratif : voilà ce qu’illustrent les pièces du présent disque, servies par un jeune trio passionné par ce répertoire et passionnant dans son interprétation.
Il s’agit d’un ensemble de sonates, de morceaux de circonstance ou de variations écrites pour la mandoline (tenue par Alon Sariel) ou la guitare (Izhar Elias), avec l’accompagnement du pianoforte (Michael Tsalka). La cohérence de cette anthologie qui pourrait sembler hétéroclite est assurée par plusieurs critères : les compositeurs choisis ont été actifs dans le milieu musical viennois autour des années 1800, plusieurs des pièces choisies sont des variations sur une célèbre aria de Giovanni Paisiello, « Nel cor più non mi sento », et elles ont été destinées – sauf celle de Wanhal, qui est un arrangement – à la mandoline, à la guitare et au pianoforte, instruments qu’on a rarement l’occasion d’entendre réunis. Et pour cause, puisque les cordes pincées et les cordes frappées s’accommodent fort mal ; ou du moins, c’est ce que l’on croit, lorsqu’on a dans l’oreille le son puissant d’un piano à queue moderne, qui aurait tôt fait d’écraser une grêle mandoline ou une frêle guitare. Ce n’est pas le cas des certains pianoforte, dont la douceur, permise par un subtil jeu de pédales, rehausse aimablement la sonorité des deux instruments à cordes pincées.
Et nous y voilà plongés, dans le salon viennois ! Ces morceaux de bravoure, qui comptent parmi les rares pages virtuoses pour instruments à cordes pincées au début du xixe siècle, disent parfaitement bien l’éclat de cette belle société viennoise, peut-être un peu superficielle, aimant les plaisirs simples et la badinerie, mais parfaitement distinguée. L’équilibre entre les instruments est remarquable : d’un bout à l’autre de l’écoute, rien ne l’entache, aucune fausse note, aucune faiblesse. Toujours virtuoses mais extrêmement élégants, les trois musiciens parviennent à une netteté de l’expression appréciable. La mandoline (une Mauri à quatre cordes de 1850) est claire et pimpante, la guitare (une Guadagnini – magnifique instrument ! – de 1812) a un timbre incroyablement velouté et pourtant scintillant ; quant au pianoforte (un Böhm de 1820), sa rondeur permet de se lier à merveille avec ses deux interlocuteurs.
Le disque s’ouvre sur des variations de Bortolazzi pour mandoline et guitare, charmantes, joliment jouées, mais d’un faible intérêt. Tout commence véritablement avec la sonate pour mandoline et pianoforte de Hummel, une véritable curiosité du genre, qui confirme l’intérêt de Hummel pour les formations hétérodoxes où il réussit peut-être mieux qu’ailleurs. Rarement jouée, cette sonate a quelque chose de léger, faussement sérieux par moment, qui tient en haleine. L’énergie des musiciens y est sensible, doublée d’un sens des nuances prononcé, qui évite la caricature salonnière. Les mêmes qualités sont à noter dans l’interprétation des pièces pour guitare et pianoforte de Giuliani : les musiciens font aussi bien preuve de sens dramatique dans les passages solennels que de malice dans les traits éclatants. On a l’occasion d’entendre ensuite – étrangeté suprême ! – des sonatines pour mandoline et pianoforte de Beethoven. Qu’un génie de son ampleur ait daigné se pencher sur ce modeste instrument peut étonner. On peut même se dire qu’il y a perdu son temps. Mais après tout, ces « piécettes » n’ont dû lui coûter que quelques minutes de divertissement au bord d’une table, et ce n’est pas pour nous déplaire. Découvrir un Beethoven plaisantin a quelque chose d’émouvant : sa sonatine en do majeur frise étonnamment la country music… Enfin, un pot-pourri pour guitare et pianoforte de Hummel et un trio animé de Wanhal qui reprend le thème de Paisiello mettent fin à ce charmant récital viennois.
Nous pourrions reprocher aux trois musiciens d’avoir volontairement « tiré dans les coins » pour dénicher des inédits dont le public aurait pu se passer. Certes, nous n’en voudrons à personne de passer son chemin devant ces plaisanteries musicales, mais nous ne saurions trop recommander aux curieux de se laisser aller à une petite pause divertissante en ce début de xixe siècle, que la génération romantique a conçu très sérieux, mais qui n’est pas sans humour. Vécue avec passion par ces trois amis, cette musique met de bonne humeur.
Beethoven : Sonatine en ut majeur WoO 44a
Wanhal : Six variations sur un air de Paisiello, op. 42
INFORMATIONS
Alon Sariel, mandoline
Izhar Elias, guitare
Michael Tsalka, pianoforte
1 CD, Brilliant Classics, 2015.
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