par Loïc Chahine · publié lundi 27 juillet 2015 · ¶¶¶¶
« L’image de la grande tradition musicale de la chapelle Saint-Marc à Venise est liée à l’importante floraison des xvie et xviie siècles, avec Adrian Willaert, les Gabrieli et Claudio Monteverdi. Ce projet montre cependant le rôle central qu’avait la musique déjà à partir de la première moitié du xive siècle, à travers le genre du motet dans la célébration des grands évènements d’État tels que l’investiture du doge, l’annexion d’un nouveau territoire à la République ou la visite d’un allié important. » C’est en ces termes que Claudia Caffagni, cofondatrice de la Reverdie et chargée depuis plusieurs années de la recherche musicologique pour l’ensemble où elle est aussi chanteuse, présente Venecie mundi splendor. On ne saurait, sans doute, mieux dire — aussi valait-il mieux reprendre ces mots textuellement.
Ce nouvel opus discographique de la Reverdie explore en effet la musique liée à l’État vénitien depuis les années 1330 jusques à environ un siècle plus tard. Le parcours est chronologique et organisé par doge ; six doges sont représentés, et sept compositeurs, dont un anonyme, mais hormis Francesco Landini et Johannes Ciconia, la plupart sont peu connus. En fait, le texte de présentation de Claudia Caffagni nous apprend aussi que ces compositeurs ne sont pas connus pour avoir eu des liens étroits avec Venise : les motets ont sans doute été commandés par la République à des compositeurs illustres du temps. Un seul semble avoir effectivement occupé une fonction officielle à Venise, Antonius Romanus — aussi est-il d’ailleurs le plus joué dans le disque, avec trois motets, «Ducalis sedes inclita / Stirps Mincinico Veneti», «Carminibus festos / O requies populi», et enfin «Aurea flamigeri». Dans le motet médiéval, les voix ne chantent pas toutes le même texte — raison pour laquelle on donne ici, pour les désigner, un double incipit — le motet «Aurea flamigeri» fait à cet égard exception, ou plus probablement atteste d’une évolution du genre. Le programme inclut également trois compositions liturgiques d’Antonius Romanus, deux Gloria et un Credo.
Comme souvent avec les enregistrements de musique médiévale, on aimerait connaître plus précisément les raisons des choix interprétatifs : pourquoi ces instruments, pourquoi ces voix ? Je me suis, par exemple, interrogé sur la présence des femmes dans ces pièces qui sont dévolues à des cérémonies officielles à caractère religieux. Plus largement, quelles étaient les conditions exactes de “représentation”, de “performance” de cette musique, combien y avait-il de musiciens, etc. Malheureusement, à part pour les spécialistes, ces questions resteront en suspens — et il est fort probable en réalité qu’on n’en sache pas grand-chose : à propos de l’Antonius Romanus déjà évoqué, on nous dit qu’il « semble être le premier compositeur connu à travers des informations d’archives à avoir obtenu des charges à l’intérieur de la chapelle des Doges », par des documents de 1420 et 1425 : s’il faut attendre une date aussi avancée, c’est dire si les informations sont lacunaires. Il aurait cependant été souhaitable, si l’on veut que cette musique puisse être non pas seulement écoutée mais comprise par le plus grand nombre, d’en évoquer plus précisément le contexte, car tout le monde n’est pas spécialiste de la République de Venise entre 1330 et 1430.
Quoi qu’il en soit, la Reverdie signe ici, une fois de plus, un disque tout à fait intéressant, dans un genre assez différent de celui que représentait la récente réédition en coffret de deux disques-phares de l’ensemble (Laude di Sancta Maria et Legenda Aurea : laudes des saints au Trecento italien). Venecie Mundi Splendor évoque un genre plus savant, celui du motet, qui est pour les compositeurs de l’époque objet d’un art de la composition particulièrement soigné. Aussi l’atmosphère est plus sage, plus concentrée, moins séduisante au premier abord aussi.
Passée la première surprise, il ressort toutefois de ce disque une impression quelque peu mitigée. Le répertoire est intéressant, le projet rondement menée, mais les voix se sont peut-être un peu ternies et laissent entendre, par endroits, leurs limites à qui se livre à une écoute attentive ; d’autre part, et c’est peut-être plus gênant, malgré le charme de la plupart des pièces et le caractère extrêmement équilibré de l’interprétation, l’ensemble n’échappe pas à une certaine monotonie à la longue. Quelques changements d’atmosphère viennent, çà et là (par exemple le début du Carminibus festos / O requies populi de Romanus), piquer l’auditeur, mais à l’ambiance dans l’ensemble recueillie, sérieuse, du programme manque peut-être un peu de cet enthousiasme qui séduit tant dans d’autres disques de La Reverdie.
On recommandera donc ce Venecie Mundi Splendor en priorité aux amateurs de musiques médiévales et aux “fans” de La Reverdie qui y trouveront leur compte. Aux autres, on ne le déconseillera pas toutefois, mais on leur suggèrera peut-être une écoute fragmentée, par exemple en deux ou trois temps, afin d’aborder l’ensemble des pièces avec fraîcheur et sans lassitude, et surtout de ne pas se fier à la première impression si elle ne les emballe pas : il vaut bien la peine de la surpasser.
J. Ciconia, Venecie mundi splendor / Michael qui Stena domus
INFORMATIONS
La Reverdie
Enregistré en octobre 2014.
1 CD, 57’07, Arcana (distr. Outhere), 2015.
D’AUTRES ARTICLES
Jakub.
On dit toujours force mal des réseaux sociaux, mais sans…