par Wissâm Feuillet · publié samedi 8 juin 2019 · ¶¶¶¶
Après La Reverdie et Micrologus, l’ensemble Canticum Novum s’intéresse dans son dernier disque, à des laudes franciscaines d’Ombrie datant des XIIe et XIIIe siècles, consignées dans le Laudario di Cortona. Ces psaumes, écrits dans un dialecte italien médiéval, en ce qu’ils sont précisément laudatifs pourraient facilement paraître creux et répétitifs (« Sois loué, Saint-François… », « Gloire aux cieux et paix sur la terre… ») ; toutefois, le parti-pris de l’ensemble est contraire à cet esprit, car c’est la joie de ces louanges matutinales qu’exaltent les chanteurs et instrumentistes de Canticum Novum.
Dès la première prière, dédiée à Saint-François, patron des franciscains, et introduite par des motifs de flûte orientalisants, la mélodie simple et efficace frappe l’oreille : les voix, à l’unisson, franches et gaillardes, soutenues par les instruments, semblent entonner quelque chant traditionnel, animé par des percussions généreuses. L’ambiance, de fait, évoque bien plus celle d’une fête villageoise que celle d’une prière. La deuxième louange, « Stella nova’n fra la gente », mélodiquement très proche de la première, confirme cette impression, qui réjouit et inquiète à la fois : l’on passe un bon moment à l’écoute de ces psaumes, enlevés et dynamiques, mais est-ce bien leur esprit et l’atmosphère qui les a vus naître ? En ce sens, la première phrase du texte introductif d’Emmanuel Bardon, peut faire douter : « S’approprier la culture de l’autre et la jouer au filtre de sa propre culture, sans tenter de l’imiter mais d’en être une résonance. » Canticum Novum ne joue-t-il pas la musique médiévale un peu trop au filtre de notre culture ? La part orientalisante de cette musique italienne du Moyen Âge central n’est-elle pas survalorisée dans la présente interprétation ?
On s’interroge, en outre, sur l’instrumentarium convoqué ici : ne contribue-t-il pas à faire de ces psaumes une musique médiévale pour notre époque plus qu’une musique vraie pour elle-même ? En effet, rien dans le livret de présentation n’explique le choix d’utiliser un oud et une nyckelharpa : ces instruments font-ils partie de l’univers sonore qui a vu naître le Laudario di Cortona ? On aurait apprécié quelques explications musicologiques simples, de nature à éclairer ces choix, d’autant plus que les pièces instrumentales semblent particulièrement réussies, riches d’ambiances bien construites : c’est le cas du Lamento da Tristano — qui, toutefois, se revêt aussi de traits arabisants dont on souhaiterait connaître l’ancrage théorique. L’estampie qui le suit, La Rotta, invite clairement à la danse.
Finalement, ce qui frappe après une écoute globale est l’homogénéité de ton et de dynamique du programme ; un souffle égal (force, vigueur, vivacité) pour l’ensemble du disque, et ce souffle ne connaît que peu des ruptures, toutefois appréciables quand elles surviennent : c’est le cas du « Lamento » susmentionné ou de « De la crudel morte di Cristo », qui déploie un tapis sonore méditatif très agréable. En somme, ce programme original s’avère appétissant, bien qu’il manque quelque peu de variété : l’on y entre avec bonheur, mais on s’y avance avec bien des interrogations et l’on se demande si ce que l’on entend n’a pas été délibérément pensé pour notre époque et si les artistes s’efforcent vraiment — pour reprendre le propos de Wittgenstein cité dans le livret du disque — de « parler une langue ancienne », sans vouloir « être au goût du jour ».
INFORMATIONS
Ensemble Canticum Novum
Barbara Kusa et Emmanuel Bardon, chant
Aliocha Regnard, nyckelharpa
Valérie Dulac, vièles et lira
Philippe Roche, oud
Gwénaël Bihan, flûtes à bec et cornemuse
Philippe Roche, oud
Henri-Charles Caget, percussions
62’, Ambronay Éditions, 2019.
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