par Loïc Chahine · publié dimanche 3 février 2019 · ¶¶¶¶
De Reincken, Mattheson affirmait qu’il était mort presque centenaire en 1722, le déclarant né le 27 avril 1623. La chose, toutefois, est peu crédible : un acte de baptême pour Johann Adam Reincken donne la date du 10 décembre 1643. Il fit carrière à Hambourg, où il fréquenta Buxtehude, et où il rencontra Johann Sebastian Bach en 1722. D’après certains, Bach vint dès 1701 l’entendre à l’orgue. Durant sa longue vie, il ne publia qu’un recueil, l’Hortus Musicus, six sonates pour deux violons, viole de gambe obligée et basse continue.
Peint comme claveciniste aux côtés d’un Buxtehude violiste dans le tableau de Johannes Voorhout, loué comme organiste, Reincken ne nous a guère laissé beaucoup d’œuvres pour les claviers — et certaines sont mêmes d’attribution incertaine. Ainsi, la Toccata en la majeur qui ouvre le disque a été d’abord attribuée à Purcell, puis au jeune Bach, mais montre des similitudes avec la Toccata en sol majeur et les sonates de l’Hortus Musicus. C’est peut-être ce qui pousse le musicologue Pieter Dirksen à l’attribuer à Reincken. L’attribution de la plupart des autres pièces n’est pas moins houleuse, mais leur circulation atteste de l’estime dans laquelle était le compositeur : on le retrouve au Pays-Bas (chez l’éditeur Etienne Roger), en Angleterre, et dans les archives de J. S. Bach, qui le copia et le transcrivit.
Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ! Clément Geoffroy a puisé dans ce passionnant corpus le programme de son premier disque soliste enregistré sur un clavecin d’Émile Jobin d’après Rückers dont, en bon « amoureux » de l’instrument (c’est lui-même qui le dit), il se délecte à exposer la sonorité claire et vigoureuse. Dire qu’un clavecin scintille ou étincelle serait une banalité ; dire que le jeu étincelle, c’est autre chose — et en effet Clément Geoffroy joue « en étincelles ». Dans une agogique de bon aloi, le claveciniste développe une théâtralité des traits fougueux (Toccata en la majeur), mais aussi une fluidité de ligne (Allemande en la mineur) et un constant aller retour foisonnement-assagissement qui, s’il ne surprend pas, ravit. Le goût de Reincken pour la répétition (que ce soit reprise d’un même matériau mélodique dans plusieurs mouvements d’une suite ou l’écriture de variations sur un thème) pourrait générer l’ennui ; il crée plutôt ici une impression de confort dans lequel Clément Geoffroy puise de longues respirations et montre plusieurs faces, comme dans l’Allemande et la Courante en ut majeur, si proches par l’écriture, si différentes dans leur traitement.
Exaltant aussi bien l’humour des notes répétées du Rossignol hollandais que la tendresse du thème de la Meierin, qui s’ébat ensuite dans des développements entraînants mais soigneusement pesés, le jeu souple et tenu du claveciniste ménage les clins d’œil et la rigueur.
Oui, décidément, la jeune école française de clavecin se porte bien.
INFORMATIONS
Clément Geoffroy, clavecin
73’, L'Encelade, 2018 (enregistré en 2017).
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