L’abbé Madin à Versailles

par Wissâm Feuillet · publié jeudi 1 septembre 2016 · ¶¶¶

Qui connaît le troisième livre des Pièces de clavecin de Duphly, et plus particulièrement les pièces avec accompagnement de violon ad libitum, connaît au moins le nom de Madin : l’une de ces pièces avec accompagnement de violon, vive et gaie, intitulée « La Madin », fait le portrait musical de cet abbé, oublié par le temps, qui fut toutefois « sous-maître de la Musique de la Chapelle du Roi », et l’un des compositeurs fréquemment joués au Concert Spirituel sous le règne de Louis XV. Le label Alpha et sa collection « Château de Versailles » font revivre deux de ses grands motets, le Te Deum et le Diligam te, Domine, enregistrés pour l’occasion en la chapelle du Château de Versailles, précisément là où le Te Deum fut plusieurs fois donné pour Louis XV.

Si, dans la tradition du grand motet français avec solistes, chœur et orchestre, qui court grossièrement de Lully à Grétry en passant par Charpentier, Lalande, Campra, Boismortier et d’autres, ce sont Mondonville et Rameau qui culminent au siècle des Lumières, Madin ne démérite pas à leurs côtés. La belle ouverture à la française de son Te Deum et la générosité de son écriture l’inscrivent pleinement dans cette noble tradition, et les premières notes, immédiatement percussives, ne sont pas sans rappeler les préludes des Te Deum de ses aînés Lully et Charpentier.

Le travail qui a été accompli par Daniel Cuiller et son ensemble, Stradivaria, sur ces partitions, est double, et d’autant plus méritoire : il s’est d’abord agi de réaliser un travail musicologique pour combler les « trous » dans la partition d’orchestre du Te Deum (les parties de haute-contre et de taille de violon étaient lacunaires) ; un travail musical ensuite, puisque, sauf erreur de notre part, cette littérature n’avait jamais été enregistrée, comme la majorité du répertoire de grands motets français de la période. Et pour une première, le résultat est hautement satisfaisant ; pleinement roboratif, serait-on même tenté de dire tant l’interprétation remplit, déborde : l’orchestre est rond et brillant, les vents particulièrement présents, les chœurs généreux, et les solos soignés, mais jamais grêles. On a d’ailleurs plaisir à retrouver, parmi les solistes, des voix connues et de qualité : Anne Magouët, Robert Getchell et Alain Buet : dans son très beau « Tu ad dexteram Dei », il discourt assez joliment avec les hautbois.

Globalement, la solennité le dispute à la majesté, et l’on se dit, à l’écoute de cette réunion des ensembles Stradivaria et Les Cris de Paris, que Louis XV n’aurait pu choisir musique plus propre à célébrer ses victoires que celle-là. Ce roi, dont le portrait en habit militaire par La Tour trône sur la pochette du disque, presque alléchant, méritait bien, comme son arrière-grand-père, son Te Deum. Voilà donc un disque à écouter et à connaître, pour satisfaire une curiosité d’historien et pour l’énergie et l’implication des musiciens.

Extraits

Te Deum, « In te domine speravi »

Te Deum, « Tu ad dexteram Dei »

INFORMATIONS

Henry Madin, Te Deum pour les victoires de Louis XV

Les Cris de Paris
Stradivaria
Daniel Cuiller, dir.

1 CD, 69’09, Alpha (Outhere Music), 2016.

D’AUTRES ARTICLES

Tourments, mais encore ?. Anima Sacra

Jakub.

Visée aux vents. Robert de Visée, La Musique de la Chambre du Roy • Manuel Strapoli et al..

Un autre Faust. Gounod : Faust • Les Talens lyriques, Christophe Rousset.

Mafalde corte con Zucchine e Gamberetti

On dit toujours force mal des réseaux sociaux, mais sans…