par Wissâm Feuillet · publié lundi 3 decembre 2018 · ⁜
L’anthologie musicale est un art difficile : qui choisir ? qui ne pas choisir ? dans quel ordre présenter les pièces ? D’autant plus difficile, peut-être, lorsqu’il s’agit de musique française pour clavecin du xviiie siècle, répertoire pour lequel existent déjà nombre d’anthologies et d’intégrales. Parmi cette discographie existante, l’on trouve peu de pépites, et le dernier disque de Violaine Cochard — qui n’enregistre pas si souvent en solo — se place au rang des florilèges les mieux construits et les mieux interprétés.
C’est autour de l’attendrissante figure de Jacques Duphly que s’organise le récital ; à partir de quelques-unes de ses plus belles pièces, qui occupent l’essentiel du disque, la claveciniste imagine un itinéraire sensible et poétique dans le répertoire de clavecin des Lumières, dans le sillage de Couperin auquel elle a déjà consacré deux doubles disques. qu’elle soit due à Duphly, aux Forqueray, à Pancrace Royer, à Balbastre ou à Dandrieu, chaque pièce choisie est un petit joyau. Chaque pièce de caractère se veut un petit tableau parfaitement servi par le toucher de la claveciniste qui tient à la fois du pinceau et de la voix humaine.
La réussite du disque tient d’abord à l’exécution des pièces. Dès la première écoute, l’oreille est séduite par la tendre Allemande de Duphly qui ouvre le bal. L’éclatement délicat de chaque note, le déploiement subtil de la phrase et la légèreté des ornements les plus riches concourent à faire crier à la grâce. Ce miracle un peu enfantin de l’allemande dépose une sorte d’aimable voile sur tout le disque, habité par la même délicatesse. On s’émerveille de La Cottin, du Rondeau tendre, des Grâces… On appréciera, au-delà de ce sens de l’émotion, une remarquable justesse des tempos et des dynamiques, jamais excessifs ; ainsi la Marche des Scythes de Pancrace Royer a-t-elle un vrai tempo de marche et non d’inqualifiable bouillonnement bâclé, faussement virtuose. Cette gravité confère aux Scythes évoqués une aura presque inquiétante. La grande et lumineuse Chaconne de Duphly, qui renvoie également aux fastes de l’Opéra, constitue un pendant agréable à cette Marche.
Finalement, si la réussite de l’ensemble est si nette, c’est peut-être aussi grâce à l’agencement des pièces, particulièrement bien pensé. Les pièces douces et les pièces rugueuses semblent alterner, un peu comme les mouvements vifs et lents d’une sonate ; ainsi, chaque saillie est-elle suivie d’un moment plus doux, plus ample, plus caressant.
En somme, le clavecin de Violaine Cochard se fait partout la caisse de résonance d’émotions justes et immédiatement saisissables : mélancolie contemplative, agacement piquant, franchise éclatante, gaieté mignarde se déroulent avec naturel et élégance, idéalement relayés par le clavecin de Christian Kroll (1776), charnu et précis, saisi dans une captation qui est une merveille d’équilibre. Le profane trouvera dans cet enregistrement un compagnon très agréable pour découvrir la face cachée du clavecin des Lumières ; l’habitué de ce répertoire, quant à lui, sera tenté d’y revenir comme à une friandise régressive.
Duphly : Allemande
Forqueray : La Angrave
INFORMATIONS
Violaine Cochard clavecin C. Kroll (1776), restauré par Marc Ducornet
1 CD, 62:37, La Música, 2018.
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