par Wissâm Feuillet · publié vendredi 13 juillet 2018 · ¶¶¶¶
Les Pièces de viole de Couperin, ne manquent pas de mystère : publiées anonymement (la page de titre n’indique que « F.C. »), elles regorgent de difficultés techniques qui ont longtemps laissé penser que leur compositeur connaissait mal la viole. Pourtant, Couperin possédait, d’après son inventaire après décès, deux violes, et l’on compte plusieurs violistes dans sa famille. Ces multiples énigmes et l’évidente beauté de ces pièces les ont rendues populaires chez les violistes : Jordi Savall les enregistrait pour Astrée dès 1975 — et le disque vinyle porte fièrement le numéro « AS 1 » ; plus récemment, Philippe Pierlot en a livré une version remarquée (Mirare, 2008). Il faut encore signaler Lorentz Duftschmid (Pan Classics, 2007), Paolo Pandolfo (Glossa, 2013), Nima Ben David (Alpha, 2000)… Bref, les versions ne manquent pas ; celle d’Atsushi Sakaï ne vient pas révolutionner la discographie.
Si le présent enregistrement présente des qualités techniques évidentes, il nous paraît manquer profondément d’ambitions poétiques. Le jeu tout en netteté est clair, franc, précis dans ses articulations ; l’archet est souple, agile, et les agréments sont joliment exécutés ; tout l’ambitus de l’instrument sonne avec la même propreté : de la rondeur de l’extrême grave à la douceur de l’aigu, Atushi Sakaï affiche une technique sûre, à ceci près que quelques doubles cordes et accords sont parfois quelque peu malsonnants (dans la « Chaconne » de la première suite, par exemple) et quelques démanchés grinçants (dans « La Chemise blanche »). La basse continue de Christophe Rousset et Marion Martineau, quant à elle, est élégante, parfois sobre à l’extrême (dans la « Plainte pour les violes », elle se résume, au clavecin, à la note de basse jouée à la main gauche, sans réalisation).
Cependant, les intentions du violiste paraissent peu marquées, pauvres en choix véritables. Ce manque d’engagement se ressent surtout dans les dynamiques. La « Gavotte » de la première suite, par exemple, est par trop appesantie, manque de légèreté et d’allant ; la « Chaconne » manque de contrastes, notamment dans sa deuxième partie mineure, qui pourrait avoir plus de mystère, qui gagnerait à être nimbée de ce halo dont Couperin enrobe nombre de ses pièces, et sa « coda » triomphante n’a pas l’éclat qu’on en attendrait. On pourrait comparer à cette deuxième partie de la « Chaconne » la deuxième partie de la « Plainte pour les violes » qui, elle, pourrait sonner comme un « réveil » permettant d’échapper à la torpeur de la première partie : il n’en est rien, la ligne est peu troublée et reste dans la dynamique première de la pièce, alanguie. Que dire aussi de cette « Chemise blanche », morceau de bravoure plein de verve, qui n’emporte pas ? En définitive, Atsushi Sakaï ne parvient pas à nous transmettre une véritable perception, fine et sensible, du caractère de ces pièces, et nous donne l’impression d’un Couperin qui se reposerait sur la beauté de sa musique.
Fort heureusement, le disque est rehaussé par quelques pièces qui font mouche : le « Prélude » de la première suite, élégamment phrasé, et l’Allemande qui suit, franche et habitée, mais surtout les pièces à trois violes de Forqueray qui amènent un véritable souffle d’air frais entre les deux suites de Couperin. Cela ne suffit pas à convaincre totalement de la nécessité de ce nouvel enregistrement, mais permet d’attendre davantage d’Atsushi Sakaï, dont la technique pourra sans doute servir une plus grande musicalité.
Couperin, Première Suite, Gavotte
Forqueray, Suite à 3 violes, Allemande
INFORMATIONS
Atsushi Sakaï, viole de gambe
Christophe Rousset, clavecin
Marion Martineau, viole de gambe
Isabelle Saint-Yves, viole de gambe
1 CD, 62’57, Aparté, 2018.
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