par Loïc Chahine · publié mercredi 2 mai 2018 · ¶¶¶¶
Depuis la redécouverte de Farinelli, il ne se passe pas une année sans qu’un récital soit consacré à l’évocation d’une grande figure du chant. Toutefois, le domaine baroque français semble, à quelques rares exceptions près, rester hermétique à cette exploration. Même si la couverture n’en dit rien, Silentium tourne autour de Jean-Baptiste Matho, compositeur mais surtout chanteur de la Chapelle royale à la fin du règne de Louis XIV. Fabien Armengaud a imaginé quelles pièces solistes il pouvait consacrer à sa voix de « taille », située entre la « haute-contre » (ténor aigu) et la basse, et c’est Jean-François Novelli, déjà présent dans le précédent opus de l’ensemble Sébastien de Brossard, qui endosse les habits du célèbre chanteur que, d’après Titon du Tillet, il chantait « avec tant d’art et de goût qu’on l’entendait avec beaucoup de satisfaction ». On est loin, sans doute, de la « méchante taille » attribuée par Scarron au comédien La Rancune dans le Roman comique.
Le répertoire couvre à peu près deux générations, de Marc-Antoine Charpentier (1643–1704) à André Campra (1660–1744), en passant par Pierre Bouteiller (vers 1655 – vers 1717), Sébastien de Brossard (1655–1730) et un inconnu, Suffret, auteur d’un recueil de motets publiés en 1703 par Pierre Ballard. Certaines des œuvres ont originellement été notées pour une voix plus aiguës, mais nombreuses sont les sources qui attestent, pour les petits motets français, de la possibilité de transcrire — jusqu’aux célèbres Leçons de ténèbres de Couperin, dans l’avertissement desquelles leur auteur note que « toutes autres espèces de voix pourront les chanter, d’autant que la plupart des personnes d’aujourd’hui qui accompagnent savent transposer. » Cet « aujourd’hui », c’était en 1714 — justement l’époque de ce disque, l’époque de Matho (1663–1743).
Jean-François Novelli met au service de ces pages peu célèbres — qui parierait sur Matho, Bouteiller ou Suffret ? — tous ses talents de rhéteur, exploitant toutes les ressources de sa voix : le texte n’est jamais oublié, et aucune répétition des mêmes mots n’est vaine. Si l’émission est parfois un peu fermée, ce n’est jamais au détriment de la générosité. Sans aucun relâchement, le chanteur articule avec netteté mais sans affectation, il nuance, il colore. Le mot « Silentium » initial est lancé, impérieux, mais la suite sait s’adoucir aussitôt l’effet saisissant atteint. La ferveur est palpable dans l’O pretiosum et admirabile de Charpentier, et le sentiment du sacré devient bouleversant au début du Tantum ergo de Pierre Bouteiller. Quant au Quando veniam de Suffret, il parvient à une véritable apesanteur dans la section centrale, « Deficit anima mea », sans doute l’un des sommets de l’enregistrement ; et la dernière section du motet semble chanter le regret de s’achever.
Variant les combinaisons instrumentales, l’ensemble Sébastien de Brossard est un écrin attentionné pour le chanteur. Ce qui étonne, c’est justement que la variété des accompagnements — le seul continuo, avec des violons, ou avec des violes — ne tire jamais la couverture à soi et évite toute ostentation. Pourtant, une oreille attentive y goûtera un jeu d’une grande finesse, à l’image des raffinements répandue par Jean-François Novelli : délicatesse de l’articulation et le phrasé, clarté du propos, absence d’ostentation.
Dans la prise de son riche de Franck Jaffrès, ces motets pour taille s’avèrent une pierre essentielle dans la discographie du petit motet français — et l’on y goût des délices inattendues. Évrard Titon du Tillet, parlant de Matho, le décrit comme « un homme d’un caractère aimable et plein de probité ». La même description peut s’appliquer à ce disque.
Bouteiller, « Tantum ergo »
INFORMATIONS
Œuvres de Brossard, Bouteiller, Campra, Charpentier, Suffret, Du Mont et L. Couperin.
Ensemble Sébastien de Brossard
Jean-François Novelli, taille
Fabien Armengaud, orgue, clavecin et direction
1 CD, 72’58, En Phases, 2018.
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