par Loïc Chahine · publié dimanche 22 avril 2018 · ⁜
Après le succès de Cinq-Mars, dont la version concert et l’enregistrement ont débouché sur une production scénique, le Palazzetto Bru Zane poursuit la réhabilitation de Gounod avec sa série consacré au Prix de Rome ; un livre et deux disques viennent exposer les trois tentatives du compositeur pour accéder à la villa Médicis (cd 1) et ses envois depuis la Ville Éternelle dans le domaine de la musique sacrée (cd 2).
Entre la première cantate composée par Gounod pour le fameux prix, Marie Stuart et Rizzo, récompensée d’un deuxième second prix en 1837, et celle qui le consacre premier prix en 1839, Fernand, un changement se produit dans le règlement : de deux personnages, l’on passe à trois, ce qui permet davantage de développement dramatique ; ce sont sans doute ces développements qui permettent à Gounod de l’emporter, Fernand évoquant une situation amoureuse en quelques points semblables à celle de Callirhoé : l’amant qui possède le pouvoir sur celle qui l’aime (Zelmire) mais qui en aime un autre (Alamir) se montre généreux et se sacrifie pour les deux amants, le tout sur fond de reconquista espagnole. En basse magnanime, Nicolas Courjal excelle : impérieux mais sensible, faisant entendre son trouble et son tourment, on ne parvient guère à imaginer de Fernand mieux campé, tant il rend son personnage crédible et attachant ; son rival, confié à Yu Shao, trouve aussi un ton assez idéal, la voix claire du ténor ayant quelque chose de fier, presque arrogant, qui convient bien à cet Alamir qui, d’abord, refuse l’aide de Fernand. Plus pointu, le timbre de Judith Van Wanroij séduit moins de prime abord, mais le tempérament fait mouche. On la retrouve d’ailleurs dans Christus factus est et dans l’Hymne sacrée du second disque avec bonheur, tant sa voix semble s’y épanouir.
La première cantate, Marie Stuart et Rizzo, est moins fascinante, mais on y apprécie la performance royale de Gabrielle Philipponet, tandis que Sébastien Droy incarne à ses côtés un amant dont la noble fidélité, illustrée par une fort belle tenue de ligne, ne fait guère de doute. Quant à La Vendetta, à l’original sujet corse (bonjour le cliché), on s’étonne qu’elle n’ait pas été récompensée quand Gounod l’a présentée en 1838 ; un fils y est enjoint par sa mère à venger la mort de son père. La prière vengeresse et les imprécations finales ne manquent pas d’emporter l’enthousiasme. Yu Shao est toujours aussi excellent en Lucien presque juvénile mais fort assuré, quand Chantal Santon-Jeffery sa voix n’a sans doute pas l’air assez vieille pour être totalement crédible en mère — mais il fallait ses moyens pour s’emparer avec autant d’aisance de la tessiture que Gounod a réservée à Marcella ; elle fait partie de ses chanteurs qui, quant ils s’élancent dans une ligne de chant, nous emportent et non élancent avec eux.
Il faut dire qu’on ne résiste pas à l’élan de la direction vive et passionnée d’Hervé Niquet, à la tête d’un Brussels Philharmonic puissant mais jamais vulgaire.
Outre les deux œuvres déjà évoquées, le second disque présente deux messes très différentes : l’une a cappella, dans un style néo-palestrinien, l’autre avec orchestre. La Messe vocale donne au Flemish Radio Choir l’occasion de faire entendre une cohésion et une beauté de timbre qui ne se démentent jamais. Curieuse pièce où l’on n’entend pas tout à fait du Palestrina, mais pas non plus une grande page romantique : quelque chose entre les deux. La version ici proposée rend parfaitement compte de cet entre-deux. La Messe de Saint-Louis-des-Français a indéniablement un caractère plus grandiloquent — écoutez ce début du Kyrie presque martial. Elle illustre bien une vision volontaire de la foi du xixe siècle.
On apprécie aussi bien la direction souple et vaillante d’Hervé Niquet que la qualité des solistes, Judith Van Wanroij et Caroline Meng — beau timbre moiré — en tête, malgré un ténor, Artavazd Sargsyan plus poussif, aux aigus un peu déplaisants et tirés.
Le livret apporte d’intéressants éléments de contexte. Signalons en particulier l’article de Pierre Sérié, « La villa Médicis au temps d’Ingres », qui rappelle et développe le goût du peintre pour la musique.
En ce bicentenaire de la naissance de Gounod, ce livre-disque apporte donc à la connaissance du compositeur de Faust une pierre décisive, décisive parce que passionnée, parce qu’aimable, au sens étymologique du mot : qui sait se faire aimer.
INFORMATIONS
Collection Prix de Rome, vol. 6.
Chantal Santon-Jeffery, Gabrielle Philiponet, Judith Van Wanroij, Caroline Meng, Yu Shao, Artavazd Sargsyan, Nicolas Courjal, Alexandre Duhamel
Flemish Radio Choir
Brussels Philharmonic
Hervé Niquet, dir.
Livre et deux CDs, 2h09, Palazzetto Bru Zane, Ediciones Singulares, 2018.
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