par Wissâm Feuillet · publié lundi 26 mars 2018 · ¶¶¶¶
Avec son premier opus discographique Zugambé, le jeune ensemble vocal et instrumental Capella Sanctæ Crucis nous rappelle quel fut l’éclat de la liturgie musicale portugaise au xviie siècle — répertoire peu fort exploré. C’est ainsi que les musiciens de l’ensemble proposent la reconstitution de ce qu’a pu être un office de la nativité à Coimbra, autour de 1650, à partir des recherches doctorales de Tiago Simas Freire.
Le programme, équilibré, est construit autour de tous les éléments qui étaient ceux d’une célébration grandiose : intonations, pièces polyphoniques, pièces instrumentales et vilancicos de Negro. C’est surtout la présence de ces vilancicos qui interpelle l’oreille de qui ignore tout de l’organisation d’une messe au Portugal : ces chants vernaculaires — autrement dit, chantés sur des paroles qui ne sont pas latines — mêlant à la langue du peuple des mélodies et des rythmes qui son ceux des esclaves noirs, étaient intégrés, semble-t-il, à la liturgie. L’on ose à peine y croire, tant ces pièces « métissées » semblent spontanées, vives, d’une simplicité mélodique qui relève de la chanson populaire. Dès lors, la diversité est le maître mot de ce programme dont on oublie rapidement qu’il figure un office religieux : on peut y entendre un « Octavo calendas Januarii », riche polyphonie sérieuse, pleine d’imitations, dans le plus pur style ibérique de l’époque, côtoyer un « Al Neglio de Mandiga », véritable scène théâtrale où plusieurs groupes de voix dialoguent de façon animée en langue vulgaire, accompagnés des battements de la guitare baroque, de percussions et d’incursions de cornemuse.
Les chanteurs, enjoués, que l’on sent volontiers complices, notamment dans les vilancicos, qui respirent le plaisir d’interprétation, font sonner pleinement les passages polyphoniques généreux, sans aucune affectation, avec un sens prudent de la nuance et d’ingénieux effets d’écho. Leurs voix, assez peu nombreuses pour qu’on cerne un peu leurs identités respectives, ont su trouver un agréable son d’ensemble et s’unissent parfois aux instruments avec bonheur (cornets, flûtes, dulcianes, violes, guitare, harpe et orgue). Seuls, les instruments atteignent aussi des moments de grâce : c’est le cas du « [Tento de] 4° tom », par exemple. Généreux en percussions, les musiciens auraient peut-être pu, en certaines occasions, s’en passer — ou du moins en réduire franchement la présence — pour tendre vers plus de clarté de texte et d’articulation. Si le fondu des voix et des instruments ne parvient pas toujours à toucher pleinement (voir l’« Ascendo ad Patrem meum »), de belles diminutions des vents complètent l’harmonie avec goût et quelques passages improvisés sont riches de bonnes idées : est-ce parce que certaines de ces pages, plus plates, peineraient à intéresser suffisamment ?... Le disque, malgré sa couverture criarde, conforme à la ligne de la collection « Harmonia Nova », mérite en tout cas le détour : un ensemble original, s’appuyant sur une véritable recherche musicologique, est né et s’est approprié un répertoire qui gagne à être connu plutôt qu’enfermé dans des manuscrits.Al Neglio de Mandiga
[Tento de] 4° tom
INFORMATIONS
Capella Sanctae Crucis
Tiago Simas Freire, dir.
1 CD, Harmonia Mundi, 2017.
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