Constellation Consolation

par Jean Massard · publié mercredi 21 mars 2018 · ¶¶¶¶

On suit toujours avec enthousiasme le Ricercar Consort de Philippe Pierlot dans son exploration du répertoire de Bach. Dans Consolatio, nouvel opus qui réunit les cantates bwv 75 « Die Elenden sollen essen », toute première cantate de la main de Bach jouée à Saint-Thomas, bwv 22 « Jesus nahm zu sich die Zwölfe », écrite à Köthen et envoyée à Leipzig pour appuyer la candidature au poste tant désiré, et bwv 127 « Herr Jesu Christ, Whr’Mensch und Gott », composée un an après la bwv 22 et qui traite du même sujet que celle qui devait l’aider à se faire adopter par la ville, l’ensemble liégeois dresse le tableau des débuts du compositeur dans son fief de Leipzig.

Comme à son habitude, Philippe Pierlot travaille autour des propositions de Joshua Rifkin (à savoir, avec un seul chanteur pour chaque partie du chœur) ce qui donne à l’ensemble la couleur très épurée et luthérienne qu’on lui connaît. Toutefois des craintes légitimes de déséquilibre dans les parties où l’on demande plus de chair au chœur sont bien vite dissipées par l’assemblée fervente qu’on entend dans les parties chorales. Le chœur des cinq fidèles se démultiplie presque dans la fugue qui introduit la bwv 22, alors que les chanteurs deviennent un ensemble dense et énergique.

Les effectifs instrumentaux, quant à eux, ne se limitent pas forcément à un musicien par partie, et l’orchestre est somptueux d’intelligence, d’une profondeur vertigineuse pour un petit ensemble. L’espace qu’on lui accorde dans les concerti et symphonies est admirablement occupé (on note la toute première piste de l’album qui nous plonge dans un clair-obscur faisant presque croire à l’existence potentielle d’un Caravage allemand), il est mené d’une main de maître par Pierlot qui sait aussi guider le continuo avec grande clarté et grande rhétorique. Le dialogue volubile que la basse-continue articule dans le cinquième mouvement de la cantate BWV 75 entre le hautbois et Hannah Morrison revêt une sensualité folle tant tout se combine à merveille: l’architecture de Bach devient claire, épurée, essentielle.

En ce qui concerne Hannah Morrison on écoute avec quelle aisance, quelle clarté, elle survole le chœur d’ouverture de la cantate bwv 127. Sa voix y est très belle lorsqu’elle la fait rayonner de la sorte, mais il nous faut reconnaître qu’une émission souvent un peu nasale nous chiffonne.

Tout ce qu’on attend de Carlos Mena est là : cette voix semble jaillir du fond du cœur dans la prière lancinante d’un fidèle qu’est « Mein Jesu, ziehe mich nach dir », aria de la cantate bwv 22. Voilà un chanteur qui ne s’écoute pas crânement, et qui nous laisse sans voix.

Hans-Jörg Mammel, autre complice du chef, possède une voix très claire, un timbre tranchant, piquant, une véritable trompette cristalline et d’une précision incroyable. Les récitatifs comme celui de la seconde partie de la cantate bwv 75, rappellent son mémorable évangéliste de la Saint-Jean que Pierlot avait mis au disque en 2011.

Matthias Viewig, quant à lui, mène ses phrases avec un sens parfait et un naturel déconcertant. On fait délice d’un chanteur qui sait ce qu’il raconte. Dans le récitatif et aria de la cantate bwv 127, la basse est là où on l’attend, entre le prêcheur et le conteur : équilibre difficile et trouvé avec une grande justesse. Cependant l’aria « Mein Herze glaub und liebt » (bwv 75) attendrait peut-être quelque chose de plus sensuel, comme les « flammes de Jésus » qui, dans le texte, « enveloppent le croyant de foi et d’amour ».

Comme souvent avec le Ricercar Consort, ce qu’on retiendra de cet enregistrement c’est l’empire de la ligne : pure, claire, précise, elle est reine quand des musiciens comprennent si bien la musique de Bach.

Extraits

Concerto »Die Elenden sollen essen«

Recit. »Wenn einstens die Posaunen schallen«

INFORMATIONS

J.S. Bach, Consolatio

Cantates BWV 22, 75 & 127

Hannah Morrison, Carlos Mena, Hans-Jörg Mammel, Matthias Vieweg

Ricercar Consort
Philippe Pierlot, dir.

1 CD, 66’, Mirare, 2018.

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