par Wissâm Feuillet · publié jeudi 15 mars 2018 · ⁜
Il était étonnant que l’ensemble La Rêveuse n’ait pas encore consacré de disque au compositeur qui lui donne son nom : « La Rêveuse », pièce du quatrième livre des Pièces de viole de Marin Marais, place Florence Bolton, Benjamin Perrot et leurs confrères sous l’égide du grand violiste français. Seulement, une question se pose au musicien de bonne foi lorsqu’il enregistre ce qui a déjà été enregistré : « Que vais-je apporter de plus à ce répertoire ? » Cette question est d’autant plus légitime pour la musique de Marin Marais, qui est loin d’être en mal de disques, surtout ces deux dernières années : l’intégrale du premier livre de François Joubert-Caillet (Ricercar, 2017), l’anthologie de Jay Bernfeld (Paraty, 2017), la sélection de pièces du cinquième livre de Leif Henrikson (Daphne, 2016), celles de Philippe Pierlot (Flora)… Dans ce contexte, La Rêveuse semble avoir fait le choix de la sagesse : enregistrer d’abord Reincken, Telemann, Buxtehude, La Guerre... et méditer sa vision de la musique de Marais, se l’approprier en concerts, la penser, la mûrir. Choix judicieux qui lui permet de proposer une anthologie majeure, à écouter d’urgence.
Les musiciens nous invitent à découvrir un Marais peut-être plus « galant », que l’image très louisquatorzienne qu’en livrent les anthologies de Folies et de Tombeaux, un Marais inscrit dans « son » xviiie siècle. Ils suivent un fil rouge : celui des pièces de caractère de ses Quatrième et Cinquième Livres de Pièces de viole. Quatre exceptions se mêlent à ces pièces : deux préludes de Marais (dont l’un tiré du Troisième Livre) et deux pièces de clavecin de Couperin, élégamment arrangées pour le théorbe par Benjamin Perrot à la façon de Robert de Visée.
Marais eut le génie de la pièce de caractère, moment de musique indépendant, qui a sa poétique propre, et qui raconte : écouter « Le Badinage », la « Feste champestre » ou « La Rêveuse », ce n’est pas seulement entendre, c’est aussi voir et sentir. Quelle bonne idée, donc, d’avoir réuni ces portraits musicaux, ces petites scènes de vie qui nous font pénétrer l’imaginaire du xviiie siècle : le goût des plaisirs champêtres et des soirées de la Régence, la douceur de vivre et les conversations galantes du début du règne de Louis XV… Marais sut peindre tout cela, et La Rêveuse rend justice à ces peintures comme personne : l’archet de Florence Bolton est aussi, à sa manière, un pinceau qui, avec aisance, quasiment avec facilité, brosse ces portraits. La violiste évoque, dans le livret du disque, la sprezzatura de Baldassare Castiglione, cet art de rendre la difficulté avec une apparence de facilité : il est peu d’artistes qui savent si bien en faire la démonstration, tant la virtuosité de certaines pièces semble naturelle, évidente.
La justesse de l’interprétation, toujours frappante d’un bout à l’autre du disque, nous a semblé être à son paroxysme dans les deux pièces les plus énergiques qui, d’ailleurs, se suivent : la « Feste champestre » et « La Biscayenne », qui transportent véritablement dans l’univers de Watteau, en particulier dans son unique scène nocturne, scène de fête où des comédiens réputés italiens, à la lumière du flambeau et d’une lune en demi-teinte, offrent un divertissement au son de la guitare d’un Pierrot. Quelle force de caractère se dégage de cette « Biscayenne » ! Il semble que le ton adopté soit exact, évidemment approprié, invitant à danser on ne sait quel pas venu d’Espagne.
Les pièces plus douces et lentes sont, quant à elles, l’occasion de moments de pure grâce : pensons au tendre rondeau « Le Troilleur » et à « La Rêveuse » qui ont achevé de nous faire penser que les moments du disque les plus intenses sont ceux où la viole et le théorbe sont seuls, presque à nu. En revanche, il est une proposition d’interprétation – parfaitement belle et assumée par ailleurs – qui nous a davantage surpris : le tempo adopté dans « Le Badinage » est bien lent, trop lent peut-être pour que l’on puisse se figurer une scène badine ; certes, la pièce est grave et a quelque chose de mélancolique, mais ce tempo l’a par trop rapprochée de « La Rêveuse », faisant du « Badinage » une quasi-plainte.
Pour la basse continue, Benjamin Perrot est parfois rejoint par Robin Pharo, à la viole, et Carsten Lohff, au clavecin. Nous ne saurions nous en plaindre : le clavecin de Carsten Lohff, partenaire privilégié de La Rêveuse depuis quelques années, est riche et inventif, conduisant admirablement le chant de la viole, soutenu par une seconde viole à sa juste place, mesurée dans son soutien.
En somme, non seulement le disque de La Rêveuse permet de découvrir des pièces peu explorées de Marais (« Le Petit Badinage », « La Biscayenne », « La Paraza »…), mais il invite à redécouvrir sous un angle nouveau des pièces plus connues (« La Rêveuse », la « Feste champestre », « Le Troilleur »…). Loin d’être inutile dans la discographie maraisienne, ce corpus de pièces de caractère en devient l’un des éléments essentiels.
Prélude
Rondeau Le Troilleur
La Biscayenne
INFORMATIONS
La Rêveuse
Florence Bolton, basse de viole
Benjamin Perrot, théorbe et guitare baroque
Carsten Lohff, clavecin
Robin Pharo, basse de viole
1 CD, 64’, Mirare, 2018.
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