par Loïc Chahine · publié vendredi 24 octobre 2014 · ¶¶¶¶
Pour qui est habitué aux Requiem plus flamboyants — tels celui de Mozart, d’une grande force rhétorique, ou celui de Verdi —, celui de Fauré est étonnant. Certains le situent dans le sillon de la Messe des morts de Campra, et l’idée ne paraît pas incongrue de rapprocher les deux œuvres, mais Fauré va plus loin, car il est d’une rare concision, et qu’il fait l’impasse sur la peinture de l’enfer — Dies iræ, Rex tremendæ majestatis, tout cela est à peu près effacé — pour se placer uniquement dans la promesse de la vie éternelle et du paradis.
Le compositeur a lui-même exposé la principale raison qui l’a conduit à écrire ce Requiem : « Voilà si longtemps que j’accompagne à l’orgue des services d’enterrement ! J’en ai par-dessus la tête, j’ai voulu faire autre chose » (Entretien avec Louis Aguettant, le 12 juillet 1902, publié dans Comœdia en mars 1954). C’est pour cette raison qu’il aurait, « d’instinct, cherché à sortir du convenu », comme il le disait lui-même. Au-delà du climat, très apaisé, souvent angélique, évoquant beaucoup les nuances du blanc, ce Requiem surprend aussi par son instrumentarium : dans sa version originale, celle de 1888, l’orchestre est réduit à des cordes graves (altos, violoncelles, contrebasses) assorties d’un violon solo pour quelques passages, harpe, timbales, et l’orgue bien entendu. Pas de vastes pupitres de violons donc, mais pas non plus de pupitres de bois — pas de flûtes, de hautbois, de clarinettes, de bassons —, pas de cuivres. Fauré considérait cependant cette version comme provisoire. Il y ajoute lors de la première révision, qui aboutit à une première version complète en 1893, quelques cuivres, dont seuls sont indispensables, note-t-il, les cors — l’instrument de la famille des cuivres le plus noblement connoté, vespéral et chambriste. Tout cela contribue également à donner sa couleur si particulière au Requiem de Fauré. Une nouvelle révision en 1900, la version plus couramment jouée, fera du Requiem une œuvre pour grande orchestre.
Parmi les spécificités de l’œuvre, il faut encore signaler la simplicité de lignes vocales, qui ont parfois été rapprochées du chant grégorien, principalement à cause de leur absence de complication rythmique et des intervalles utilisés (bien que ce dernier point soit sujet à discussions car le grégorien est encore plus économe : disons que c’est une stylisation très réinvestie).
« Mon Requiem a été composé pour rien… pour le plaisir, si j’ose dire ! Il a été exécuté pour la première fois à la Madeleine, à l’occasion des obsèques d’un paroissien quelconque. » Chanceux paroissien quelconque, et chanceuse famille du défunt !
De cette œuvre phare du répertoire choral, Hervé Niquet, à la tête du Flemish Radio Choir et d’une partie du Brussels Philharmonic — deux formations qu’il connaît bien, puisqu’il les dirigeait dans le Dimitri de Joncières ou encore dans la collection consacrée aux prix de Rome dont on ne saurait dire assez de bien — livre une version immatérielle mais pas décharnée. Le choix de ne pas confier le Pie Jesu à un soliste, mais à le donner au pupitre de sopranos dans son entier, tradition interprétative courante dans les offices, va dans ce sens, dans celui de la ferveur plutôt que de l’éclat. Les solos du baryton-basse, « le type de voix de chantre » selon les dires de Fauré, ne contredisent pas ce choix, d’abord, parce qu’il y a bien, toujours, un célébrant, et ensuite parce qu’Andrew Foster-Williams tient sa partie avec une sobriété absolument exemplaire, tout à l’opposé de ce Vallier dont Fauré disait qu’il était « un vrai chanteur d’opéra qui n’a rien compris au calme et à la gravité de sa partie » ; Foster-Williams est un chanteur d’opéra, mais il a très bien compris son rôle : la preuve, il est méconnaissable par rapport à son méchant Lusace dans Dimitri.
Magnifiant les lignes en les conduisant de sorte qu’elles ne se brouillent jamais, les musiciens se font exhausteurs des ambiances, souvent tendres et blanc-nuageuses (mais pas brumeuses), sans pour autant édulcorer les moments plus théâtraux, ni les surjouer. Cette lecture du Requiem est tendre mais pas mièvre, sobre mais pas fade. Hervé Niquet écrit qu’il part du chœur et de l’œuvre « pour obtenir un enterrement intime qui aurait été célébré par un défunt disposant de certains moyens, mais pas de fonds infinis », avec pour but « un résultat intime et intense, pas ampoulé ou pompeux. » On le voit, le mot intime est essentiel : il apparaît deux fois. Pari réussi, maestro ! Finalement, on pourrait se demander si on entend pas un peu trop que l’œuvre a été composée « pour le plaisir », comme le disait son auteur.
Le disque, joliment présenté — quoique l’on regrette les coquilles du livret — par le label Evil Penguin Records (ça ne s’invente pas, enfin il faut croire que si), serait peut-être d’un intérêt moindre — les versions du Requiem de Fauré ne manquent pas, même si, quand il y a Hervé Niquet dans le coin, on a toujours intérêt à garder une oreille ouverte — sans le couplage judicieux avec une œuvre qui, s’il ne s’agit pas là d’un premier enregistrement, n’en est pas moins une rareté dont le chef confiait aux micros telle radio qu’elle lui avait été suggérée par le bienfaisant Palazzetto Bru Zane : Les Sept Paroles de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la Croix de Charles Gounod. S’il est plus connu pour sa production lyrique — en particulier Faust et Roméo et Juliette, longtemps piliers du répertoire —, Charles Gounod a surtout composé énormément de musique religieuse dont rien de moins que seize messes et quatre Requiem. Cela n’est guère étonnant de la part d’un homme d’un foi profonde qui envisagea même d’entrer dans les ordres. Ses Sept Paroles sont a cappella. Il y fait montre d’une science harmonique et contrapuntique qui le relie à la tradition qui court depuis Palestrina, souvent cité comme modèle. S’il faut les rapprocher, c’est peut-être par leur sobriété, l’économie remarquable des moyens mis en œuvre. Dans les bouches et les gosiers du Flemish Radio Choir, dans les mains et l’esprit d’Hervé Niquet, à cette sobriété répondent une intensité et un souffle jamais pris en défaut qui font des Sept Paroles de Gounod non pas huit pièces (il y a un prologue) mises bout à bout, mais un véritable ensemble. La qualité de l’écriture est particulièrement bien mise en valeur, sans pour autant que cela devienne ostentatoire ou que le propos s’y dilue.
Les qualité de la musique, que ce soit celle de Fauré, bien sûr, ou de l’heureuse surprise de Gounod, la beauté plastique du son — au cœur, selon nous, du propos musical du Requiem — et le haut niveau de l’interprétation sont autant d’éléments qui font de ce disque un moment très agréable et dont la suite — car il semble qu’il y aura une suite — est attendue avec gourmandise.
Requiem, I, Introit et Kyrie
Gounod, Sept Paroles, I, Præter euntes
INFORMATIONS
Gabriel Fauré : Messe de Requiem (1893)
Charles Gounod : Ave Verum et Les Sept Paroles de Notre Seigneur Jésus-Crhist sur la Croix
Flemish Radio Choir (Chœur de la Radio Flamande)
Brussels Philharmonic Soloists
Hervé Niquet, dir.
Evil Penquin Records Classic, 2014.
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