par Loïc Chahine · publié vendredi 17 novembre 2017 · ¶¶¶¶
On serait tenté de dire que les clavecinistes sont, dès leurs premiers « pas » sur l’instrument, biberonnés de François Couperin autant que de Bach. Ils apprennent la rigueur avec le second, la sensualité avec le premier. Faut-il céder ensuite à la tentation d’y revenir pour les enregistrer alors que tant et tant de disques ont déjà été consacrés au « Grand Couperin » ? Nous persistons à penser que des anthologies choisies de quelques « Ordres » peuvent avoir autant d’intérêt que des intégrales, car enfin, l’on n’écoute pas systématiquement l’intégralité des œuvres pour clavecin de Couperin, non plus que l’intégralité des sonates pour piano de Mozart ou de Beethoven. Faire un choix permet à l’interprète avisé de retenir ce qu’il aime le plus, et donc, potentiellement, d’éviter de « se taper », parce qu’il faut bien tout faire, des pièces qu’il aime moins.
Aurélien Delage a donc choisi quelques Ordres, dont le célèbre Sixième (avec « Les Barricades mystérieuses », très célèbres aujourd’hui, et « Les Bergeries », très célèbres au xviiie siècle, car on les retrouva même dans des parodies d’opéras, affublées de diverses paroles), mais aussi une partie du Troisième Ordre, si sombre (« La Ténébreuse », « La Lugubre »…), le très beau Septième Ordre, et deux préludes de L’Art de toucher le clavecin.
Loin de se perdre, Aurélien Delage montre que Couperin, ce ne sont pas seulement des « agréments », mais aussi un véritable discours ; plutôt qu’à un maniérisme du détail, il s’attache à la structure. Ainsi, « Les Moissonneurs » affichent une belle netteté d’articulation qui fait bien entendre « comment ça marche » sans verser dans le pointillisme. De même, la fermeté avec laquelle il brosse « L’Adolescence » fait ressortir certaines régularités.
La lecture qu’il propose mise avant tout sur la franchise. Les caractères sont bien assumés. Ainsi, puisque Couperin a indiqué que ses « Barricades mystérieuses » devaient être jouées « vivement », c’est ce qu’il fait, en assumant la vivacité. De la même manière, le phrasé est toujours clair et jamais fuyant, le propos est nettement articulé en phrases : l’on comprend où l’on va. Ce discours est tantôt très libre (« La Ménétou »), tantôt plus rigoureux (« L’Adolescente » des Petits Âges), sans bannir la simple tendresse (« Le Gazouillement »).Plus loin, dans « La Chazé », l’on se demande s’il n’y a pas un peu de brusquerie. Mais c’est bel et bien un choix du claveciniste, un choix délibéré, car la quatrième partie des « Petits Âges », « Les Délices », est tout au contraire souple et volubile. « La Ténébreuse » est inquiétante et impressionnante, tant Aurélien Delage la déclame avec une impérieuse autorité, tant il semble la développer lui-même avec force.
Certaines rares pièces, toutefois, semblent manquer leur but, comme « La Commère », qui, à notre sens, manque un peu de verve — allons, allons, il faudrait que cela « commère » en effet ! De manière générale, il faudrait peut-être parfois un peu plus de légèreté (non dans le toucher, dans la technique, mais dans l’esprit) et un peu moins de rigueur — la qualité essentielle de cette lecture peut en effet aussi être vue comme son défaut.
Bref, ce Couperin d’Aurélien Delage possède une qualité sans doute essentielle : celle de l’ « honnête homme » tant vanté, quelques années avant Couperin, par Jean de La Bruyère, celle du refus de l’excès.
INFORMATIONS
Aurélien Delage, clavecin d’Émile Jobin d’après Tibaut de Toulouse.
1 CD, 68’39, Passacaille, 2016.
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