par Loïc Chahine · publié mercredi 15 novembre 2017 · ¶¶¶¶
Parler de Natalie Dessay, c’est parler d’affect. Comment rester objectif face à cette artiste qui a fasciné (et un peu clivé) la vie musicale, érigée au rang d’une des plus grandes sopranos françaises, « une comme on en fait plus » ? Et puis vint la rupture : son retrait de la scène musicale, pour aller vers autre chose — le théâtre en particulier. On en a beaucoup glosé, on en a fait une sorte de caprice d’enfant gâté qui n’avait pas compris sa place. Tout cela, en fait, nous importe peu. Natalie Dessay avait entamé une sorte de retour, par le biais de la mélodie et du Lied.
Natalie Dessay dans le Lied, était-ce si évident ? Celle qu’on associait à l’incandescence théâtrale, qu’elle soit tragique (Ophélie dans Hamlet d’Ambroise Thomas) ou comique (Zerbinette dans Ariane à Naxos de Strauss, Eurydice dans Orphée aux Enfers d’Offenbach), celle qui regrettait encore que bien des rôles auxquels elle avait accès (la Reine de la Nuit et Pamina dans La Flûte enchantée, entre autres) manquaient cruellement de profondeur dramatique, on ne l’attendait guère chez Schubert et sa retenue. Et pourtant…
Pourtant, la technique vocale assez éclatante encore fait merveille et affranchit l’artiste de bien des embûches. Germaniste passionnée, Natalie Dessay saisit la fusion de la langue et du chant — l’articulation est à la fois claire et, plus, simple, dégagée, sans affectation, bref, osons le mot : naturelle — un qualificatif qui va bien à l’ensemble du disque d’ailleurs, auréolé d’une simplicité confiante ; l’on pense davantage à Lisa della Casa qu’à Elisabeth Schwarzkopf. En fait, Natalie Dessay chante comme toujours, mais en s’adaptant au style ; c’est elle, et c’est Schubert aussi.
Mais un tel disque, sans doute, n’aurait pas été possible il y a dix ans, ou plutôt, il n’aurait sans doute pas été aussi réussi — car il est réussi. Ce qui « fonctionne » si bien ici, c’est que la voix, le timbre, a pris un peu de patine du temps. C’est un lieu commun, mais c’est indispensable. La fragilité — mais une fragilité encore maîtrisée — convient bien à ces Lieder de Schubert.
Mais a voix a encore assez de jeunesse, de fraîcheur — car le timbre n’a que peu changé — pour être parfaitement crédible dans Gretchen am Spinnrade et culminer avec éclat sur « sein Kuss », en traînant avec sensualité l’s final ; au reste, la soprano et le Philippe Cassard font de ce Lied un véritable petit poème dramatique, avec une progression, une fluidité du tempo, et un embrasement à la fin qui évoquent à merveille la touchante Marguerite.
On aurait pu s’attendre à ce que dans Erlkönig, ballade éminemment dramatique de Goethe, « la » Dessay en fît trop — et en fait, non. Et même, au chapitre des dames, l’on peut dire qu’Elisabeth Söderström allait encore plus loin.
On aime surtout les lieder les plus tristes, les plus lents, où la retenue prend tout son sens, où la ligne se tend : ce n’est pas qu’on s’économise, ce n’est pas qu’il n’y ait point de flux pour alimenter, mais qu’il soit véritablement contenu.
Philippe Cassard, partenaire de choix, dont un récent disque consacré à Schubert a d’ailleurs été remarqué, accompagne, bien sûr, mais il ne s’efface pas ; les deux partenaires trouvent un équilibre qui donne toute sa place à la partie de piano. Dans ce Schubert de Natalie Dessay et Philippe Cassard, ce n'est pas l'intellect qui prime ; le piano peint, le cœur sent, la voix sait, et il n’en faut pas davantage.
INFORMATIONS
Natalie Dessay, soprano
Philippe Cassard, piano
1 CD, Sony, 2017.
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