par Wissâm Feuillet · publié mardi 31 octobre 2017 · ¶¶¶¶
En 2001, Mira Glodeanu et l’ensemble Ausonia enregistraient pour le label Calliope une sélection de sonates pour violon et basse continue de François Francœur. Pour beaucoup, ce fut une découverte, et il eût été bien bête de se priver de cette musique : Francœur méritait amplement d’être remis à sa place, auprès de Jean-Marie Leclair et de Jean-Féry Rebel (avec le fils duquel il a collaboré) qui sont plus connus des amateurs. Son génie mélodique, la qualité de son écriture tant pour le violon que pour la basse, sa finesse et aussi sa difficulté : Ausonia en avait donné un aperçu magistral, et leur disque, maintenant rare, reste une référence.
Depuis 2001, Francœur a été quelquefois enregistré, ponctuellement, notamment dans sa production dramatique : une deuxième fois par Ausonia (mélange de sonates et d’airs d’opéra) et par Stradivaria (Pirame et Thisbé, écrit en collaboration avec François Rebel), puis encore par Les Surprises (pour leur premier disque, des extraits de plusieurs opéras écrits avec Rebel). Mais beaucoup d’œuvres restent à découvrir. Le jeune ensemble Daimonion remet Francoeur à l’honneur et c’est une superbe réussite. Le disque, joliment édité chez Passacaille, est à l’image de sa couverture, La belle chocolatière de Liotard : délicat, sensible, net, précis, soigné. On serait presque tenté de dire minimaliste, efficace. En effet, l’approche de Daimonion n’est pas celle d’Ausonia — et c’est aussi là son intérêt : là où Mira Glodeanu était accompagnée d’un continuo riche (viole de gambe, théorbe et clavecin + violone dans certaines sonates), la violoniste Anaïs Chen est accompagnée en toute simplicité (violoncelle et clavecin). En quelque sorte, là où Ausonia avait choisi un continuo « à la française » (la viole de gambe et le théorbe faisant songer à Marais et à de Visée), Daimonion propose un continuo plus sec, propre à souligner les italianismes de la musique de Francœur. Cela n’est ni moins bon ni meilleur : c’est une toute autre approche. Là où Ausonia mettait en relief la rondeur, l’élégance de la musique de Francoeur, Daimonion parvient à en souligner le caractère incisif, parfois piquant. Précisons que la comparaison entre les deux ensembles s’impose d’autant plus que beaucoup des sonates enregistrées sont les mêmes ; les plus belles, peut-être.
Il se dégage de la musique de Francoeur, sous les doigts des trois musiciens, une incroyable poésie qui, étonnamment, prend deux directions différentes, quasi opposées : un lyrisme évident d’une part, purement instrumental et particulièrement palpable dans les mouvements lents très chantants (amples adagios initiaux et sarabandes) ; une tendance à suggérer la danse d’autre part, notamment dans les rondeaux finaux assez vifs, dans les gavottes et dans les gigues. Les adagios et les rondeaux, assez antagoniques, nous ont d’ailleurs complètement convaincus : grâce extrême et noblesse des uns, ornés avec ampleur par Anaïs Chen ; vigueur et emportement des autres, souvent pleins d’alacrité.
Le violon est toujours d’une clarté éloquente, jusque dans les doubles cordes, les accords (de trois ou quatre notes) et les bariolages, procédés particulièrement appréciés par le compositeur ; les attaques sont franches et précises et l’archet toujours généreux. Il semble d’ailleurs que la générosité soit le mot d’ordre de l’ensemble : Daniel Rosin, au violoncelle, n’est jamais en retrait et se montre, au contraire, très présent, soutenant le violon avec entrain et rondeur, prenant parfois une place qui dépasse le simple accompagnement, tant la ligne de basse recèle d’agréables passages ; María González, au clavecin, offre, quant à elle, une réalisation roborative du continuo, riche mais toujours inventive et souvent pleine d’ingénieuses trouvailles. Bref, l’ensemble se tient et provoque un plaisir d’écoute qui ne se fait pas attendre : les premières notes sont délicieuses et l’on arrive à la fin presque déçu de n’en avoir pas eu davantage. Puissent-ils continuer sur cette voie : les débuts de l’école française de violon ne sont encore que trop partiellement connus.
Sonate op. 2, n° 6, V. Rondeau
Sonate op. 2, n° 10, I. Adagio
INFORMATIONS
Ensemble Daimonion
1 CD, 74’42, Passacaille, 2017.
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