par Loïc Chahine · publié mercredi 25 octobre 2017 · ¶¶¶¶
Quelle fatalité guida Giorgio Antoniotto (1681–1766) de Milan à Calais ? La fuite, d’abord, car, nous apprend l’Anglais Samuel Pegge (1704–1796), « à Milan, il avait pris parti pour les intérêts espagnols face aux autrichiens [dans la guerre de succession d’Espagne], avec pour conséquence, là-bas, la ruine de sa situation ». De violoniste, il devint alors soldat, au service de l’Espagne — pour devenir violoncelliste suite à une blessure à la main à Paris. C’est en allant en Angleterre ou en en revenant qu’il trouva la mort à Calais, à l’âge avancé de 85 ans.
C’est sans doute la même fatalité qui guida Claire Lamquet et son ensemble Hemiolia vers les XII Sonate, le prime cinque a violoncello solo e basso e le altre sette a due violoncelli overo due viole di gambe — l’ensemble étant basé, justement à Calais. Pour cet enregistrement, l’ensemble a retenu sept des douze sonates d’allure tout à fait canonique, en quatre mouvements (lent, vif, lent, vif) ; l’ombre de Corelli plane encore sur le style de ces sonates qui répondent bien au double impératif de cantare et suonare — chanter et faire sonner l’instrument.
Ce qui caractérise sans doute la démarche d’Hemiolia, c’est la recherche de l’équilibre. Bien sûr, il y a un violoncelle « soliste » et un continuo qui l’accompagne, mais cet accompagnement prend à peu près autant de place que le soliste et dialogue avec lui (par exemple dans le Vivace de la sonate 11, où la viole de gambe du continuo se retrouve souvent à la tierce du violoncelle, ou bien lui répond dans des phrases fuguées), le soutient, le complète. En somme, Claire Lamquet a soin de ne pas tirer toute la couverture à elle. Au reste, quand la deuxième basse, confiée, nous l’avons dit, à une basse de viole, soutient, ce n’est pas pour s’effacer, comme le montre bien l’Adagio de la même sonate 11, où la ligne de basse demeure remarquablement présente.
De la même manière, la réalisation des accords de la basse continue, confiée à un théorbe ou une guitare, et un clavecin, exhibe une étonnante et agréable variété, tantôt marqué rythmiquement (par exemple dans le virulent Spiritoso de la sonate 6 en mi mineur, ou encore dans le Vivace final de la sonate 11), tantôt plus aérien (dans l’Adagio de la sonate 11 en la mineur, déjà évoqué, mais aussi dans la fugue qui le suit — la douceur n’est pas réservée aux mouvements lents).
Disons encore un mot du jeu de Claire Lamquet, qui surprend à plus d’un titre, et d’abord par sa sobriété. Point d’effet, ici, mais une lecture « droite dans ses bottes », attentive à rendre justice à la partition plus qu’à briller pour elle-même. Prenez le premier mouvement, Adagio, de la sonate 2 en fa majeur : qu’il eût été facile d’en faire beaucoup dans les ornementations, d’accentuer exagérément le lyrisme au risque de tomber dans une certaine vulgarité ; c’est ce que Claire Lamquet ne fait pas, jouant au contraire avec ce que les théoriciens français de la sociabilité ont appelé, à l’époque, l’honnêteté. L’on sent que nous sommes entre deux mondes : 1733 (année de publication des sonates d’Antoniotto), ce n’est pas encore l’Empfindsamkeit ni le règne du sentiment. Ajoutons que le son du violoncelle a quelque chose de légèrement rauque, et par là extrêmement personnel, presque humain — en particulier dans les mouvements lents.
En fait, ce violoncelle évoque davantage, dans sa sonorité, les brumes du nord et les ciels nuageux que le brillant soleil de la Milan natale d’Antoniotto ; il s’équilibre, en quelque sorte, avec le côté plus « latin » du théorbe et de la guitare, et bien sûr l’italianité de l’écriture musicale — et évite toute caricature.
Voilà donc un disque qui apporte sa pierre à l’édifice de la discographie du violoncelle baroque, et une pierre joliment taillée — car ce qui propose l’ensemble Hemiolia est un véritable travail d’équipe dénué de toute froideur.
INFORMATIONS
Ensemble Hemiolia
Claire Lamquet, violoncelle
Aude-Marie Piloz, viole de gambe
Stéphanie Petibon, théorbe et guitare baroque
François Grenier, clavecin
1 CD, 60’39, Paraty, 2017.
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