par Wissâm Feuillet · publié jeudi 5 octobre 2017 · ¶¶¶¶
On connaît Loyset Compère pour ses chansons, dont la licencieuse « Nous sommes de l’ordre de saint Babouyn », dans laquelle nous avions reconnu, dans l’interprétation de l’ensemble Clément Janequin, un vrai maître du contrepoint de la fin du xve siècle. Cependant, Compère a été quelque peu éclipsé par ses contemporains plus connus : La Rue, Des Prés, ou encore Brumel. Le disque de l’ensemble Odhecaton, rejoint pour l’occasion par La Pifarescha, La Reverdie et l’ensemble Pian&forte, une des dernières publications du label Arcana, le réhabilite pleinement en ce qu’il révèle, dans sa musique sacrée, les mêmes qualités que dans ses chansons profanes. Des pièces de Weerbecke, d’Agricola, de Martini et de Lübeck complètent judicieusement ce programme.
Le parti-pris de ce disque semble aller dans le sens d’une interprétation historique. Le travail des musiciens va même au-delà des simples instruments anciens et de la réflexion sur le style « métissé » de Compère : ils prennent le parti de rendre cette musique dans un effectif important, bien qu’il n’approche pas exactement celui qui fut le sien à la fin du xve siècle. En effet, Compère, compositeur du Nord de la France, lorsqu’il entre au service du Duc de Milan, Galéas Maria Sforza, dans les années 1470, dispose d’un ensemble vocal colossal pour l’époque (entre trente et quarante chanteurs). C’est que Galéas est un tyran, cruel et dépensier, mais surtout un mécène qui se donne du mal pour faire venir à sa cour les meilleurs chanteurs et compositeurs européens. Compère fait partie de ces heureux élus et il compose, durant ses années milanaises, des cycles de motets qui, par abus de langage, ont parfois été nommés « messes », du fait qu’ils étaient chantés pendant les messes basses. Les chanteurs ne sont pas trente ici, mais douze, et doublés par des instruments en colla parte, ce qui donne à cette musique une impression d’opulence qui, pourtant, est probablement loin de ce qui a pu être entendu à Milan sous Galéas. À propos de la pratique de la colla parte, le sujet est délicat et fait souvent l’objet de vigoureux débats : était-elle d’usage et dans quelle mesure ? Le livret du disque n’en dit rien. Nous aurions apprécié des explications à cet égard.
Le rendu sonore est intéressant : le mélange des voix et des instruments, bien qu’il ne soit pas expliqué, donne à ces motets une certaine consistance ; cependant, ce doublage instrumental n’est pas systématique et l’on a plusieurs fois le plaisir d’entendre le chant « nu ». Les voix (uniquement des voix d’hommes, ce qui est appréciable dans ce répertoire) assurent une belle conduite de phrase, sont denses et rondes, toujours bien-sonnantes et surtout, les parties sont équilibrées. L’on peut toutefois regretter que l’interprétation paraisse globalement « scolaire » : proposer des dynamiques et des nuances nettes et variées sans forcer le trait jusqu’au bel canto romantique ou à la rhétorique vulgaire contribuerait à rendre cette musique plus intéressante, à l’incarner pleinement. En revanche, si la rhétorique propre à chaque pièce peut sembler faible, la rhétorique d’ensemble, sans être passionnante, soutient l’intérêt : l’alternance de pièces vocales, de pièces d’orgue et de chansons jouées sur les instruments est très agréable et permet d’envisager ce merveilleux xve siècle finissant sous plusieurs angles. L’on a d’ailleurs l’étrange et douce impression, à l’écoute, comme lorsqu’on lit Rabelais, d’osciller constamment entre Moyen Âge et Renaissance, de vivre une transition : parvenir à faire ressentir cela aussi bien est, sans aucun doute, une des grandes qualités de ce disque.
Compère, « Loco credo. Ave, Decus Virginale »
Weerbecke, « Mater Digna Dei »
INFORMATIONS
Odhecaton
La Pifarescha
La Reveride
Ensemble Pian&Forte
Paolo Da Col, dir.
1 CD, 65’12, Arcana, 2017.
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