par Loïc Chahine · publié mardi 29 aout 2017 · ¶¶¶¶
La musique de l’ars subtilior, style qui succède à l’ars nova à la fin du xive siècle, n’est pas la plus facile à aborder pour les auditeurs : elle peut paraître absconse et l’écoute peut vite s’avérer fastidieuse. Mais tel n’est pas le cas avec l’ensemble Santenay, pour peu qu’on prenne le temps de s’imprégner de la musique, puisque, comme l’affirme le titre même de l’album, « Think Subtilior », il faut penser subtilior.
« Le Cercle des Fumeux », dont le nom figure également sur l’album, est, comme l’écrit Élodie Wiener dans la notice du disque, « une confrérie singulière, un groupe de jeunes intellectuels excentriques (…), poètes, penseurs, musiciens », comme Jean Fumeux, Solage, Jean Simon Hasprois et Eustache Deschamps. On trouvera dans ce disque une pièce de Hasprois et trois de Solage. S’y ajoutent « Le ray au soleyl » de Ciconia, une pièce de Baude Cordier, une autre encore de Matteo da Perugia, et une anonyme.
Mais ce n’est pas tout. En effet, entre ces pièces s’insèrent des intermèdes « assemblés et mixés par Thor-Harald Johnsen ». Ils apportent indéniablement quelque chose, avec leur travail sur le flou et la résonance, relativement opposé à ce que les musiciens font dans l’ars subtilior, où la précision des rythmes est quasi impacable ; c’est une jolie idée qui contribue aussi à la création de l’atmosphère de rêve de l’ensemble du disque — car ce disque semble baigner dans une atmosphère rêveuse, et l’on s’imagine ce cercle des fumeux dans une lumière faible, probablement dans des fins de soirées où les esprits s’embrument un peu et se perdent quelque part entre la veille et les songes. Comme fumée, les lignes mélodiques semblent voltiger lentement.
Pour autant, nous avons évoqué la précision rythmique, et il faut bien dire que Santenay ne souffre aucun relâchement. L’intonation est tout aussi impeccable, et de l’ensemble se dégage un sentiment d’unité. La dernière pièce, enchaînée avec l’ « intermède » précédent, semble unir d’ailleurs les deux recherches — l’une médiévale, l’autre contemporaine — avec un bonheur certain.
On ne cherchera pas ici d’effets, du moins dans les pièces médiévales ; Santenay reste proche du texte et s’attache à le mettre en valeur, par des textures plutôt claires — qui n’excluent toutefois pas la densité, comme le montre par exemple « Le basile de sa propre nature » —, mais une attention portée au motif, à son expressivité et à son phrasé. Ainsi des « oci » répétés dans « Onques ne fu si dure pertie », de « Je femeray sans personne graver » dans « Puisque je sui fumeux » — passages particulièrement obsédants. Le chant de Julla von Landsberg n’hésite pas, quoiqu’avec sobriété, à se parer d’inflexions pleines de charme.
Signalons enfin la très belle pièce de Solage arrangée pour luth seul, « Fumeux fume par fumée ». Orí Harmelin parvient avec beaucoup d’art à varier légèrement le toucher, tout en restant précis et à tendre les lignes, à fasciner, et l’on en redemande !
Voici donc un disque plutôt réussi, exigeant avec ses auditeurs, qui peut sembler un peu monotone, mais qui mérite qu’on lui prête son attention à plusieurs reprises pour le bien goûter : le jeu en vaut (largement) la chandelle.
Onques ne fu si dure partie
INFORMATIONS
Œuvres de Johannes Symonis Hasprois, Solage, Baude Cordier, Johannes Ciconia et d’anonymes.
Santenay
Julla von Landsberg, voix, organetto
Elodie Wiemer, flûte à bec
Szilárd Chereji, vielle
Orí Harmelin, luth
1 CD, 51’13, Ricercar, 2017.
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