par Loïc Chahine · publié samedi 27 mai 2017 · ¶¶¶¶
« Bienheureux Scudéry dont la fertile plume
« Peut tous les mois sans peine enfanter un volume… »
Ces vers, adressés par Boileau à l’écrivain Georges de Scudery, auraient aussi bien s’appliquer à Joseph Bodin de Boismortier, comme le notera, sans doute avec un peu de jalousie, Paul Louis Roualle de Boisgelou qui jugeait que le compositeur n’écrivait que « pour gagner tout de suite de l’argent » : « ses ouvrages ne lui coûtaient que le temps de les écrire », paraît-il, et ensuite rapportaient. Cette réputation de facilité, aujourd’hui, n’est guère de bon augure, et de fait, l’on ne saurait soutenir que chaque ligne de Boismortier est exceptionnelle. Faut-il pour autant jeter bébé avec l’eau de son bain ? Le tout jeune ensemble Le Petit Trianon prouve le contraire et a puisé chez Boismortier des pages qui méritent largement d’être jouée et écoutées.
L’on y entend un compositeur qui se fond dans son époque où la musique française est décidément fort marquée d’italianisme ; la danse, ainsi, n’est que fort peu présente, si ce n’est dans quelques mouvements… Il suffit d’écouter le Grave initial de la sonate en ré majeur op. 41 no 2, dont le début rappelle fort Corelli, et tout comme la section centrale, avec sa basse qui avance par croches et ses deux dessus dont les secondes se résolvent en tierces. Boismortier abandonne presque totalement l’influence de la danse, même si l’on remarquera aussi petites musettes qui, elles, sonnent aussi parfaitement françaises que possible (en particulier le superbe Affettuoso de la sonate en sol majeur op. 41 no 3).
Boismortier renoue également avec la sonate où au deuxième dessus se substitue une deuxième basse — genre assez peu pratiqué en Italie au xviiie siècle, mais très apprécié en Allemagne, et l’on pense à Telemann dont les trios avec viole obligée sont nombreux. Ici, c’est un violoncelle qui joue cette deuxième basse, et Cyril Poulet se signale par une sonorité ronde et ferme, et une aimable variété des attaques. Le disque, d’ailleurs, s’ouvre sur les sonorités des basses, riches, sombres et moirées.
De fait, la beauté de la sonorité est omniprésente, et quelle que soit la formation (deux dessus et basse, dessus et deux basse…), l’équilibre entre les parties est idéal et la lisibilité fort appréciable. On goûte aussi partout un beau sens du phrasé comme de l’énergie, alliant mélodie et dynamique. Mais les mouvements lents sont également fort réussis, comme le Largo de la sonate en la mineur op. 37 no 5, dévoilant un charme irrésistible, mais comme retenu, ne sombrant jamais dans la moindre platitude, car Le Petit Trianon joue tout en finesse et cela avance, mais sans forcer le passage.
De fait, même dans l’Allegro qui suit, qui ressemble fort, en son début, à une espèce de tambourin, la dynamique, justement, n’est point outrée tout au long des vingt-huit pistes qui composent ce disque, on retrouve une élégance qui n’empêche pas la gaieté ; cette maîtrisé absolue du texte musical et des effets le dit clairement : il ne manque rien à ce premier enregistrement de l’ensemble Le Petit Trianon, qui est déjà très abouti.
Sonate op. 37, n° 5, II. Largo
INFORMATIONS
Le Petit Trianon
Amandine Solano, violon ; Olivier Riehl, traverso ; Cyril Poulet, violoncelle ; Xavier Marquis, basson ; Paolo Corsi, clavecin.
1 CD, 69’20, Ricercar (Outhere), 2017.
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