par Loïc Chahine · publié lundi 22 mai 2017 · ¶¶¶¶
Armide de Lully fait partie de ces œuvres du patrimoine musical français qui, bien qu’en fait assez rarement jouées, jouissent d’une solide réputation. Il faut dire que le livret annonçait certaines finesses : la fin, par exemple, est-elle heureuse ou malheureuse ? Tout dépend comment l’on considère l’héroïne, justement ambiguë : femme fatale, fatalement dangereuse, mais réellement éprise… Un premier enregistrement ne rendait pas vraiment justice à l’œuvre, bénéficiant d’une direction hors normes dans l’enregistrement hélas dirigé par Philippe Herreweghe qui n’est chez lui ni dans la musique française ni dans l’opéra ; il y a eu, autre gâchis, le DVD dirigé par William Christie, avec un autre duo de tête d’exception (Stéphanie d’Oustrac et Paul Agnew), mais accompagné gauchement par un Christie des mauvais jours et affublé d’une mise en scène qui frôlait l’idiotie. Œuvre vénérée, mais de loin, comme maudite, il serait juste qu’Armide trouve enfin sa « version idéale ».
Il y a bien des années maintenant que Christophe Rousset et Les Talens lyrique ont commencé d’enregistrer les opéras de Lully, construisant petit à petit ce qui s’apprête à devenir une intégrale, du moins des tragédies ; commencée chez naïve (Persée et Roland), l’aventure se poursuit chez Aparté (Bellérophon, Phaéton, Amadis, et aujourd’hui Armide, demain sans doute Alceste).
On sera sans doute étonné que les deux rôles principaux soient confiés à chanteurs assez peu connus. Dans le rôle-titre Marie-Adeline Henry s’en tire tout à fait honorablement, avec une voix fort caractérisée, étonnante souvent ; variant aisément les couleurs, elle est à la (dé)mesure du personnage et se distingue des autres, même si son Armide est plus magicienne qu’amoureuse et manque un peu, à notre goût, de séduction. À ses côtés, Judith van Wanroij et Marie-Claude Chappuis endossent les rôles des deux suivantes et aussi des deux séductrices de l’acte IV ; sans voler la vedette à Armide, quoiqu’avec des timbres plus amènes, elles parviennent à parer leurs rôles « secondaires » de charmes, sans jamais oublier le texte.
Du côté des hommes, on est plus dubitatifs face au choix d’Antonio Figueroa pour le rôle de Renaud. Oh, ce n’est pas qu’il démérite, non, tout est très honorable, même si l’aigu semble un peu tendu — c’est qu’il à face à lui Emiliano Gonzalez Toro dans le petit rôle d’Artémidore et Cyril Auvity en Chevalier danois et en Amant fortuné (le soliste de la Passacaille), et c’est que l’on se dit que l’un ou l’autre aurait pu faire merveille en Renaud. Le célèbre « Sommeil » de l’acte II, « Plus j’observe ces lieux », manque de douceur, les adieux à l’acte V de noblesse.
Outre l’admirable Amant fortuné de Cyril Auvity, idéal d’hédonisme, notons encore la Haine incisive de Marc Mauillon. Douglas Williams ne manque pas d’assurance en Hidraot, rôle au demeurant assez ingrat et peu développé.
Le Chœur de Chambre de Namur, partenaire désormais régulier de Christophe Rousset chez Lully, ne manque ni d’aplomb ni de précision ; on lui trouve aussi de jolis moment qui font penser à un sfumato fort réussi. Quant aux Talens lyriques, ils ont, à notre sens, gagné en rondeur ; l’on entend mieux que dans certains enregistrements précédents les parties intérieures de l’orchestre, et c’est tant mieux. Toutefois, certains choix étonnent : pour sept dessus de violons, seulement quatre basses ; pour deux hautbois, un seul basson ; il aurait assurément été souhaitable de mieux équilibrer, car justement la basse manque un peu de présence par endroits, même si Christophe Rousset fait le choix, musicologiquement plus que discutable, de faire jouer le continuo même dans les danses et l’ouverture.
La direction est variée. Si l’ouverture fait un peu excès de martialité, d’autres endroits sont plus délicats ; la Passacaille est en particulier très réussie, à aucun moment caricaturale, et dans l’ensemble, le chef trouve le ton juste. Surtout, c’est à la direction et à l’accompagnement des chanteurs que Christophe Rousset excelle, ne laissant jamais un mot du poème dans l’ombre et secondant ainsi les acteurs chantants à faire vivre leur personnage — même s’il leur laisse faire des ornements pour lesquels Lully les aurait sans doute vertement tancés.
Voici donc une version de l’Armide qui, peut-être, n’est pas tout à fait celle dont on rêvait, mais du moins s’en rapproche autrement plus que les précédentes et s’impose, dès lors, comme une référence.
INFORMATIONS
Marie-Adeline Henry, Antonia Figueroa, Renaud, Judith Van Wanroij, Marie-Claude Chappuis, Marc Mauillon, Douglas Williams, Cyril Auvity, Emiliano Gonzalez Toro, Etienne Bazola
Chœur de chambre de Namur
Les Talens lyriques
Christophe Rousset, dir.
2 CD, Aparté, 2017.
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