par Loïc Chahine · publié mercredi 31 mai 2017 · ¶¶¶¶
Ce n’est pas d’aujourd’hui que la musique s’invite partout ; si de nos jours c’est par l’enregistrement qu’elle s’installe, cette réalité ne doit pas occulter l’importance (quantitative) de la pratique instrumentale. « Dans les services de santé » invite à se pencher sur les œuvres de compositeurs français qui ont été mobilisés non pas dans les tranchées — ou du moins pas seulement — mais pour soigner leurs compatriotes, « comme Jean Huré, d’abord mobilisé puis réformé en 1916 pour une maladie contractée pendant son affectation à l’hôpital d’Angers […], ou encore Déodat de Séverac, engagé en 1915 à plus de 40 ans et souffrant d’urémie, affecté dans des hôpitaux du Sud-Ouest, ou même Charles Koechlin, trop âgé pour être mobilisé, engagé comme infirmier Croix-Rouge à l’hôpital de Saint-Raphaël » (Philippe Saulnier d’Anchald).
L’un des grands mérites de ce programme est de faire entendre des œuvres et des compositeurs qui sont rares au disque de nos jours, comme Roger Ducasse, Charles Koechlin ou Albert Roussel — noms familiers dont la musique demeure un peu oubliée ; on remarquera même deux « inédits au disque », la Petite berceuse de Jacques de la Presle qui, lui, fait son chemin depuis quelques années, et la Deuxième sonate de Jean Huré (1877–1930).
Le pianiste Amaury Breyne se distingue par un jeu varié ; le toucher est riche et semble souvent à la recherche de sonorités diverses. Cette recherche se met au service de la musique. Les Variations sur un choral de Roger Ducasse, par exemple, n’ont rien de compassé, mais sont au contraire servies par une expressivité qui fait oublier qu’elles sont des variations — on voit plutôt une fresque colorée et lyrique. Dans la Petite berceuse de La Presle, le ton est non seulement presque enfantin, mais chaleureux ; l’on se dit que cette petite pièce écrite pour le premier fils du compositeur, alors âgé de quatre mois (ainsi que l’indique Sylvie Douche dans le livret du disque) aurait sans doute été de nature à calmer un peu les tourments des hospitalisés.
Si la Deuxième Sonate de Jean Huré n’est sans doute pas l’œuvre la plus inoubliable de l’histoire de la musique, on y trouve de forts beaux passages, ici habilement mis en valeur ; l’évidente virtuosité de l’œuvre ne semble jamais être une fin pour Amaury Breyne qui s’attache avant tout à rendre intelligible une logique de discours, et en particulier la variété d’ambiances qui s’y succèdent. On apprécie aussi la précision dactylique qui fait admirablement sonner les « ornements », à la tournure presque archaïsante mais sans aucun kitsch, dont certains motifs sont parsemés. La deuxième moitié de l’œuvre s’avère toutefois assez décousue et peine à passionner l’auditeur.
C’est assurément dans les pièces apaisées qu’Amaury Breyne réussit le mieux ; il suffit d’écouter Les Naïades et le faune indiscret de Déodat de Séverac pour s’en convaincre : l’aimable badinage à la liberté rythmique réjouissante se teinte du « demi-jour » qui évite tout excès. « Voilà qui est véritablement charmant », se dit-on. Ce lyrisme optimiste, rêveur et suggestif, plaît ; il nous réfugie dans un monde moins dur, moins cruel.
INFORMATIONS
Œuvres de Jacques Ibert, Roger Ducasse, Jacques de la Presle, Jean Huré, Albert Roussel, Maurice Ravel, Déodat de Séverac, Charles Koechlin
Amaury Breyne, piano Steinway de 1906
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