par Loïc Chahine · publié vendredi 5 mai 2017 · ¶¶¶¶
1849–1853. C’est dans ces quatre années que Robert et Clara Schumann composent l’essentiel du programme de ce disque : les Fantasiestücke op. 73 sont composées entre le 11 et le 12 février 1849, les Drei Romanzen op. 94 début décembre, les Drei Romanzen op. 22 de Clara Schumann en 1853, tout comme les Märchenerzählungen de Robert. Enfin, c’est en 1853 que les époux Schumann rencontre Johannes Brahms ; à la page du 1er octobre, dans son journal, Clara note « Visite de Brahms. Un génie ! » Les deux Gesänge op. 91 ici proposés ont toutefois été écrits bien plus tard, en 1864 pour « Gesitliches Wiegenlied » et 1884 « Gestillte Sehnsucht ».
Le Sehnsucht, ce sentiment un peu intraduisible en français, cette mélancolie, ce vague-à-l’âme, cette langueur mêlée d’ardeur, ce désir d’un objet inatteignable, caractérise bien l’ensemble du disque Waiting for Clara. La clarinette est un instrument, qui, en soit, semble exprimer à merveille ce Sehnsucht et le jeu de Julien Hervé y trouve aisément ses marques. Il évite tout éclat, tout excès et se meut avec aisance dans le mezzo piano, le piano et le pianissimo. Il y a une rigueur, une proximité du texte qui honore les musiciens en ce qu’elle ne cherche pas à imposer une lecture résolument personnelle, mais au contraire à inviter l’auditeur à écouter la musique avant tout, celle des compositeurs, non celle des interprètes, de sorte qu’il faut un peu de temps pour s’y plonger… mais quand on y est, quelle satisfaction ! Quelles beautés dans ces demi-teintes ! Le romantisme n’est plus l’âge du clair obscur, et s’il a adoré Vinci plus que Caravage, le sfumato est assurément ici à l’honneur — lumière douce et brumes légères sur le Rhin.
Qu’on écoute les Märchenerzählungen ici offerts : il ne s’agit pas ici de raconter avec forces gesticulations, mais de narrer, « au coin de l’âtre », d’évoquer, de faire apparaître à ceux qui veulent voir — en l’occurence, entendre. Aux nébulosités de la clarinette se joignent le grain chaleureux — voire, en certains endroits, badin — de l’alto de Pierre-Marc Vernaudon.
Mais les interprètes ne reculent pas devant la joie ! Les premier et troisièmes mouvement des Märchenerzählungen en sont la preuve ; cette joie, simplement, n’est pas explosive ; elle n’est pas franche, elle est simple, elle est légèreté insouciante. Le troisième mouvement, « Nicht schnell », des Romanzen op. 94 est tout à fait emblématique de la finesse déployée : ici, l’on se réjouit, mais sans oublier par où l’on est passé avant que d’arriver ; ici, l’on est soulagé.
Un mot encore sur le pianiste, Jean Sugitani ; non que sa prestation soit mauvaise, bien au contraire — mais on souhaiterait qu’il reste moins en retrait et hésite moins à se mettre en avant. L’équilibre, certes, n’en est pas vraiment mis à mal, que ce soit à deux ou à trois, mais l’ensemble y aurait assurément gagné en vitalité et en facilité d’écoute.
En guise de guest star, Isabelle Druet s’invite pour les deux Gesänge de Brahms, où à l’alto originel s’est substitué la clarinette de basset, instrument tombé en désuétude après Mozart sans cesser toutefois d’exister. La différence avec la musique des époux Schumann est assez flagrante ; le langage semble s’allonger dans un apaisement auquel la chanteuse offre toutefois un timbre riche, très nettement caractérisé, est des accents subtils.
Waiting for Clara, « En attendant… » Sacha Guitry, dans Deux Couverts, écrivait : « C’est extrêmement difficile d’attendre !… Lire ?… Écrire ?… Non. Il devrait y avoir une chose à faire quand on attend… la même pour tout le monde… et qui ne servirait qu’à cela !… » Waiting for Clara décrit ce sentiment d’une attente un peu indistincte, cette attente qui ne peut véritablement s’occuper, mais qui pense, qui médite — qui médite, non pas inquiète comme chez Guitry sur ce qui arrivera une fois l’autre arrivé, mais, confiante et quasi-métaphysique, sur ce qu’elle attend.
INFORMATIONS
Œuvres de Robert et Clara Schumann et de Johannes Brahms
Julien Hervé, clarinettes
Jean Sugitani, piano
Isabelle Druet, mezzo-soprano
Pierre-Mard Vernaudon, alto
1 CD, 66’04, NoMadMusic, 2017.
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