Vérité du mythe

par Loïc Chahine · publié mercredi 22 mars 2017 ·

On avait aimé le premier disque de l’ensemble La Fonte Musica, Le Ray au Soleyl, qui remontait à 2011 ; on espérait la suite, mais on se demandait si l’aventure allait se poursuivre. Voici la réponse : Metamorfosi Trecento, enregistré en 2013, qui paraît maintenant chez Alpha.

C’est toujours au xive siècle que Michele Pasotti et ses comparses nous entraînent. Le programme fait la part belle à l’ars nova italienne (Landini, Paolo da Firenze, Jacopo da Bologna, etc.), mais réserve aussi un peu de place aussi à sa consœur française (Philippe de Vitry, Guillaume de Machaut, Solage). Si, d’après les historiens, les deux courants sont relativement indépendants — l’ars nova italienne apparaît sans qu’on sache vraiment d’où elle sort, sans lien réel avec l’ars nova française —, la poésie et la musique française s’étaient faites une place de choix dans le paysage culturel italien : la poésie des troubadours était connue et imitée outre-monts, et jusqu’au xiiie siècle, des poètes italiens ont continué d’écrire en provençal, parfois même en « français » (en ancien français, en fait), comme Filippotto da Caserta (illustré ici par une pièce en ancien français, justement, « Par le grant senz d’Adriane »), la langue italienne ne conquérant que bien progressivement le statut de langue littéraire aux temps de Dante (1265–1321), puis de Pétrarque (1303–1374) et Boccace (1313–1375). Bref, l’Italie est en pleine effervescence culturelle, bientôt, ce sera ce qu’on s’appliquera à appeler la Renaissance. De fait, avec ces Metamorfosi, on se sent bien à l’aube de la Renaissance — après tout, le terme a été utilisé par les lettrés du xve siècle pour se distinguer de ce qu’il y avait avant eux, tout comme celui d’ars nova par les musiciens.

Le programme a un fil conducteur : comme son titre l’indique, c’est la métamorphose, et l’on y retrouve donc bien des mythes antiques. Si Daphné se changeant en laurier est là, sur la pochette du disque, on entendra chanter de Narcisse, de Callisto, du serpent Python, du Phénix, d’Ulysse et de Circé… parfois, ils seront même mis en liens avec le triomphe du Christ, vainqueur du dragon (Philippe de Vitry, In nova fert / Garrit Gallus, piste 5) — le xive siècle, c’est aussi l’époque de l’Ovide moralisé — mais le plus souvent, ils se mettront au service d’un discours amoureux.

La métamorphose évoque aussi le mouvant, et c’est bien un terme qui décrit assez bien la musique de l’ars nova italienne : une musique en perpétuel mouvement, qui, à nos oreilles modernes, peut paraître instable, d’une grande vivacité surtout (qu’on écoute seulement la pièce initiale, celle de Francesco Landini !). Peut-être aussi prémices de la Renaissance, ce contrepoint fouillé, flamboyant, qui n’exclut pas les jeux d’une voix à l’autre, les échos, les réponses…

Jeux d’esprit ? Pas pour La Fonte Musica, du moins pas seulement, car l’ensemble porte une attention constante à la sensualité de cette musique : on est véritablement séduit par les timbres, leurs alliances (on notera d’ailleurs la diversité des formations adoptées), les ambiances qui en résultent — et ce qui en résulte, c’est un charme, au sens fort du terme : quelque chose qui est de l’ordre du magique (comme la métamorphose, tenez, « tout est dans tout, et réciproquement », comme on dit).

La sonorité de l’ensemble, par son espèce de clarté, de luminosité, rappellera peut-être certains moments de l’ensemble La Reverdie. On notera la beauté des voix, en particulier féminines.

L’une des forces de l’ensemble, c’est le traitement de la phrase musicale : La Fonte Musica fait la part belle aux dynamiques, les notes ont une forme et les phrases ont une direction… Écoutez « Non più infelice » de Paolo da Firenze » : comme cela vit ! Qui a dit que la musique médiévale devait se jouer toute droite ? De fait, certains choix, très assumés, ne plairont peut-être pas à tout le monde.

Surtout, on est stupéfait par le surgissement de moments d’une grande poésie. Ils sont nombreux, signalons-en quelques-uns : vers le début de « Par le grant senz d’Adriane » de Filippotto da Caserta, une voix seule, pianissimo, avec l’accompagnement discret et minimaliste d’une harpe — attendri, on reste bouche bée. Ou la brève introduction du motet de Philippe de Vitry, à voix seule et vièle, invitant à rester attentif à cette même voix d’homme qui développera des valeurs longues dans la suite — car il y a un discours, et La Fonte Musica nous y guide — ; ou encore « Sì com’al canto della bella Yguana » de Maestro Piero, à deux voix de femmes, sans rien de plus — La Fonte Musica ne recule pas devant le simple dénuement, et quelle efficacité !

Pour les gens du Moyen Âge comme de la Renaissance, les mythes païens étaient faux, on le savait, mais l’illusion en était si enchanteresse ! L’enchantement, avec La Fonte Musica, est réel, ce n’est pas une illusion : ce disque Metamorfosi Trecento est bien là, et c’est un must have.

Extrait

« Par le grant senz d'Ariadne »

INFORMATIONS

Metamorfosi Trecento

Œuvres de Francesco Landini da Firenze, Paolo da Firenze, Jacopo da Bologna, Philippe de Vitry, Guillaume de Machaut, Filippotto da Caserta, Niccolò da Perugia, Bartolino da Padova, Matteo da Perugia...

La Fonte Musica
Francesca Cassinari, soprano
Alena Dantcheva, soprano
Gianluca Ferrarini, ténor
Mauro Borgioni, baryton
Efix Puelo, Teodoro Baù, rebecs
Marco Domenichetti, flûtes à bec
Marta Graziolino, harpe gothique
Michele Pasotti, luth médiéval, dir.

1 CD, 63’39, Alpha (Outhere Music), 2017.

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