par Wissâm Feuillet · publié jeudi 9 mars 2017 · ¶¶¶¶
Ainsi s’exclamait Ronsard dans la dernière strophe de son poème « À son luth », et c’est ce que l’on a envie de dire à Paul Kieffer après avoir écouté son dernier disque. L’on salue à la fois son luth, sa vihuela et son toucher élégant qui, pendant près d’une heure, parviennent à rendre lisibles des pages difficiles et exigeantes — tant pour le musicien que pour l’auditeur — du répertoire savant de la Renaissance italienne et espagnole, créant un doux tapis sonore propre à la méditation ou à l’accompagnement d’une profonde concentration…
Voilà en effet une anthologie bien conçue de pièces italiennes issues de différents manuscrits, parmi lesquels le manuscrit « Barbarino », un recueil napolitain dont les pièces ont été compilées par un luthiste du nom de Barbarino à la fin du xvie siècle. Il s’agit donc de la collection partiale d’un musicien éclairé qui, parmi le répertoire italien et espagnol de son siècle, a sélectionné, copié et peut-être arrangé les pièces qui avaient retenu son attention : pièces savantes (fantaisies, ricercare, toccatas…), danses (pavanes, gaillardes…) et chansons mises en tablatures.
Les pièces « savantes », celles que John Griffiths nomme « abstract works » dans le livret d’accompagnement, dominent l’anthologie. Il n’est pas évident de traduire l’expression anglaise abstract works (« pièces abstraites » ou « d’abstraction » ne semble pas clair). Il s’agit, en fait, pour aller au plus court, de pièces contrapuntiques qui convoquent tuilage, art de la fugue, imitations… Cela a de quoi être rebutant pour celui qui voudrait passer un bon moment en écoutant de « belles » pièces ; pourtant, l’on est loin de s’ennuyer franchement. Si toutes les pièces ne sont pas d’un intérêt palpitant, il y a dans ce récital des pages qui ne laissent pas indifférent.
Les fantaisies de Dentice, toujours austères au début, exposant froidement des thèmes peu mélodieux, se révèlent être d’intéressants objets musicaux, bien construits, modulant parfois étrangement, de telle sorte qu’ils excitent la curiosité de l’oreille. Une belle fugue de Cardone a retenu plus particulièrement notre attention : l’exposition du thème dans le grave (registre peu utilisé mélodiquement au luth), nous a paru surprenante, presque lourde, mais une fois ce thème exposé, la pièce progresse rapidement vers le médium, puis dans l’aigu du luth, déployant une sorte d’élévation. Une « toccata », simple mais belle, d’une grande liberté, pleine de jolies formules, mérite aussi d’être retenue. Enfin, l’on sera sensible à une petite « folia » dansante.
Le jeu de Paul Kieffer, dont Le Babillard s’était fait l’écho à la parution de son disque consacré à Jacques le Polonois, conserve les mêmes qualités : « un toucher vif, argentin même, mais aussi varié, car il sait se faire plus grave dans les pièces méditatives », avait dit notre collègue. Il faut ajouter que la clarté est un de ses plus beaux atouts : les lignes sont pures, sans bavure ni accrochage, même dans le registre grave, et cette clarté est sublimée par une prise de son pure. La résonance de l’église laisse un bel espace au son argentin du luth, qui a gagné en netteté. Il n’est que de le voir jouer pour se rendre compte de sa concentration et de sa tranquillité, mises au service d’une remarquable netteté. Nous nous permettons de formuler un bémol : les pièces jouées à la vihuela nous ont moins séduits, notamment parce que nous avons été moins sensibles au timbre de l’instrument, plus grêle, moins dense, offrant moins de profondeur et de variété que le luth dans les contrepoints. Il n’en demeure pas moins que Paul Kieffer est devenu un luthiste accompli qui a fait ses preuves et mérite d’être suivi pour l’originalité de ses choix.
Dantice, Fantaisie
Anonyme, Folias en primer tono
INFORMATIONS
Paul Kiffer, luth et viola da mano
1 CD, Arcana, 2017.
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