par Loïc Chahine · publié dimanche 26 mars 2017 · ¶¶¶¶
Après plusieurs opus consacrés à la musique allemande du xviie siècle (Rosenmüller, Weichlein), c’est vers le siècle suivant que les cordes de l’ensemble Masque se tournent, et vers la pléthorique production de Georg Philipp Telemann. La production du Maître de Hambourg est si vaste que de prime abord, on trouve un peu regrettable que ce nouveau disque n’y ait puisé aucun inédit. Ainsi, l’Ouverture-Suite en la majeur twv 55:a1 a déjà été enregistrée par l’excellent ensemble Pratum Integrum, certes pas assez connu en nos contrées ; l’Ouverture « Les Nations » (twv 55:b5 par l’Akademie für Alte Musik Berlin ; le Concerto polonois en sol majeur (twv 43:g7) par Musica Antiqua Köln et The English Concert ; enfin, l’Ouverture « Burlesque de Quixotte » (twv 55:g10 est presque un tube (on en compte au moins une demi-douzaine de versions). Ce choix de programme est d’autant plus surprenant que l’ensemble Masques joue à un instrumentiste par partie (sauf pour le continuo, bien entendu), de sorte qu’on l’aurait davantage attendue dans le domaine de la musique de chambre.
Avec cette version comme « chambriste » de ces œuvres, que l’on est plus habitués à écouter en versions orchestrales, l’ensemble Masques met en avant la virtuosité de ses membres, comme une ode, en particulier, au premier violon de Sophie Gent, et l’on serait bien en peine de prendre aucun d’eux en défaut ; tout est rendu avec une indéniable précision, le son est rond, pour ne pas dire rutilant, le continuo est généreux, les parties sont habilement mises en valeurs… Les effets sont savamment dosés, tel le début de l’Ouverture « Les Nations », première mesure d’abord forte, assez affirmatif puis, à la reprise, piano pour ménager un crescendo sans histrionisme déplacé. Dans la suite des « Nations », justement « Les Turcs » sont bien caractérisés, avec juste la bonne dose de burlesque, le « Dolce » du Concerto Polonois est bien doux et bien aimable…
Ce qui caractérise cette lecture de l’ensemble Masques, c’est sa proximité avec le texte ; les musiciens semblent avoir à cœur de mettre en valeur la qualité de l’écriture, à peu la dépasser (l’outrepasse ?). Le phrasé bénéficie d’une attention constante, tout autant que les dynamiques, les nuances… Les tempos sont judicieusement choisis… — bref, tout cela est fort bien fait ; même la fameuse Burlesque de Quichotte fonctionne bien. Mais tout cela n’est-il pas un peu sage ?
Toutefois, nous ne cacherons pas que nous avons eu par moments l’impression qu’il manque quelque chose. L’ensemble Masque travaille sur le son, et de fait, le résultat est fort plaisant, mais derrière ce son, on a un peu de peine à sentir « quelque fibre qui palpite ». Certes, tout cela est fort galant, modéré, aimable, sociable, mais derrière le titre donné au disque de Théâtre musical de Telemann (assez mal choisi, au demeurant), on n’entend guère trop le théâtre, justement. À moins de penser plutôt à un théâtre de société comme il en fleurissait tant au xviiie siècle.
De fait, tout cela est cohérent : en s’orientant vers une lecture chambriste, l’ensemble Masques assume ses choix jusqu’au bout et ne cherche point à faire des effets de manches. C’est une théâtralité en douceur, finalement comparable à la Nature morte au verre à bière de Georg Hinz (1630–1688) qui orne la couverture : il faut bien y regarder pour apprécier ces quatre morceaux de biscuits soigneusement disposés, le reflet sur la table en marbre, le jeu des couleurs… De même, l’ensemble Masques nous propose ici un Telemann pour intelligenti pauca, où les effets sont subtils — trop ?
INFORMATIONS
Ouverture-Suite TWV 55:A1
Ouverture-Suite “Les Nations” TWV 55:B5
Concerto Polonois TWV 43:G7
Ouverture-Suite “Burlesque de Quixotte” TWV 55:G10
Ensemble Masques
Olivier Fortin, clavecin et dir.
1 CD, 66’54, Alpha (Outhere), 2016.
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