par Loïc Chahine · publié samedi 11 février 2017 · ¶¶¶¶
Avant de nous pencher sur les anniversaires que nous célébrerons en 2017, voici encore un petit témoignage de ceux de 2016 : on y fêtait le quadricentenaire de la mort de Shakespeare, même si, en France, on en a relativement peu entendu parler — à croire que la « perfide Albion » reste la perfide Albion. Fort heureusement, à quelques semaines à peine de la fin de 2016, le label NoMadMusic faisait paraître ces Shakespeare Songs choisies et défendues par Isabelle Druet et Anne Le Bozec.
Une bonne partie de l’Europe s’y trouve réunie : l’Autrichien Korngold y croise l’Italien Mario Castelnuovo-Tedesco, les Français Fauré et Saint-Saëns y rencontrent l’Anglais Ivor Gurney, et même le Finlandais Sibelius est là, de sorte que ce récital s’épanouit non seulement dans la langue de Shakespeare, on y entend aussi de l’allemand, du français et du suédois. Ce n’est pas qu’affaire de textes, car la langue colore la musique et en particulier le chant. De fait, ce programme s’avère haut en couleurs.
Si l’on retrouvera quelques classiques attendus, comme La Mort d’Ophélie de Berlioz, il y a aussi bien des raretés, comme la mélodie de Saint-Saëns sur le même texte. Il est tout à fait intéressant, bien sûr, de comparer les deux : là où Berlioz exprime l’envoûtement de « l’étrange mélodie » et donne à sa partition quelque chose d’halluciné, Saint-Saëns décrit l’eau qui coule et annonce d’emblée le drame. On retrouve aussi An Silvia de Schubert dont on avait, soyons honnête, bien oublié que le texte fût de Shakespeare.
L’une des grandes forces de ce récital est de n’avoir pas cantonné Shakespeare au drame, justement, mais d’avoir aussi fait une part à des œuvres plus amusées, comme le bref Lieder des transferierten Zettel d’Hugo Wolf, le Schlusslied des Narren de Schumann qui suit — excellente idée, encore, de les avoir rapprochés, laissant ainsi le temps à l’auditeur de quitter la tragédie pour s’habituer à la comédie —, ou encore, plus loin « When Birds Do Sing » de Korngold.
On sait particulièrement gré aux deux artistes d’être allée chercher deux songs d’Ivor Gurney, encore trop peu connu de ce côté de la Manche. Orpheus est particulièrement réussie, au lyrisme optimiste, un peu hollywoodien. Bref, le programme est passionnant.
À Isabelle Druet, on ne trouvera guère de défaut. Le timbre, riche, généreux, chatoyant, est exempt de toute dureté, et se colore : Dès « Seals of Love » de Castelnuovo-Tedesco, la mezzo-soprano démontre qu’elle sait apporter mille inflexions à son chant pour le mettre au service de la musique et du texte. On appréciera encore le goût évident du théâtre qui ne vire jamais à l’histrionisme, comme le prouve un « When Birds Do Sing » de Korngold très classe. La mélancolie n’est pas absente non plus, souvent servie par un allègement de la voix, sans jamais détimbrer pour autant. Bref, Isabelle Druet sait ce qu’elle fait, elle le fait bien, jamais trop ni trop peu : l’on découvre ici, après la tragédienne entendue chez Lully, la comédienne que dévoilait, par exemple, L’Heure espagnole, une grande mélodiste.
Nous avons déjà dit tout le bien que nous pensons d’Anne Le Bozec, qui demeure sans doute une des meilleures accompagnatrices actuelles, attentives mais jamais absente ni excessivement effacée. Elle a la même classe qu’Isabelle Druet, une sonorité toujours d’une belle rondeur et un toucher agréablement varié ; surtout, le discours est d’une grande clarté.
Du rire aux larmes, du calme à la tempête, ces Shakespeare Songs sont un voyage dans le cœur et les affects de l’homme porté à chaque instant par l’amour de la musique, caressée langoureusement par Isabelle Druet et Anne Le Bozec. “If music be the food of love, play on!”
Saint-Saëns : La Mort d’Ophélie
Gurney : “Orpheus”
INFORMATIONS
Mario Castelnuovo-Tedesco : “Ariel”, “Old Song”, ”Seals of Love“, “Apemanthus’s Grace”, “Ophelia” (Shakespeare Songs nos 17, 1, 11, 16 et 20)
Hector Berlioz : La Mort d’Ophélie
Ernest Chausson : Chansons de Shakespeare
Camille Saint-Saëns : La Mort d’Ophélie
Johannes Brahms : 5 Ophelia-Lieder
Franz Schubert : An Silvia, Ständchen
Francis Poulenc : Fancy
Ivor Gurney : “Under the Greenwood Tree”, “Orpheus” (Five Elizabethan Songs nos 1 et 3)
Gabriel Fauré : Chanson (Musique de scène pour Shylock, no 1)
Jean Sibelius : Deux mélodies d’après La Nuit des rois
Hugo Wolf : “Lied des transferierten Zettel” (Vier Gedichte Nach Heine, Shakespeare und Lord Byron no 2)
Robert Schumann : “Sclusslied des Narren” (Fünf Lieder und Gesänge, no 5)
Erich Wolfgang Korngold : “Come Away, Death” (Songs of the Clown no 1) ; “Desdemona’s Song”, “When Birds Do Sing” (Four Shakespeare Songs no 1 et 4)
“Hey, Robin!” (Songs of the Clown no 4)Isabelle Druet, mezzo-soprano
Anne Le Bozec, piano
1 CD, 67’41, NoMadMusic.
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