par Loïc Chahine · publié mercredi 11 janvier 2017 · ⁜
Qui croirait, à la première écoute, que cette Messa Clementina, dédiée au pape Clément XI, a été composée par Alessandro Scarlatti en 1716 ? De fait, ce qu’on entend dans ce disque n’est probablement pas ce à quoi l’on s’attendait en lisant le nom d’Alessandro Scarlatti : un programme entièrement a cappella, une messe « dans le style ancien », c’est-à-dire encore très proche d’une écriture Renaissance, deux motets un peu plus « modernes » mais non moins a cappella et d’une écriture que l’on qualifierait volontiers de transitoire entre baroque et renaissance, et deux motets de Palestrina, antérieurs de plus d’un siècle.
Il faut, pour bien comprendre cela, se rappeler qu’au xviie siècle, la musique de Palestrina a été érigée en modèle : voilà comme devait être une musique religieuse, ancrée encore dans la prima pratica ; si un peu partout dans l’Europe catholique, on s’écarta volontiers de ce modèle, tel n’était pas le cas à la Chapelle Sixtine, où les musiciens se rendraient, dès la deuxième moitié du xviiie siècle, comme dans un lieu de curiosité musicale. De fait, deux motets de Palestrina lui-même complètent le programme sans nullement détonner.Cela n’empêche pas Scarlatti d’instiller dans sa Messa Clementina quelques nouveautés harmoniques que l’on n’aurait pas entendue chez Palestrina, virages qui font un peu penser à ceux qu’affectionnait Gesualdo, et qui se retrouvent encore plus nombreux dans le Salve Regina qui conclue le disque, lequel a été probablement composé à l’occasion de célébrations liées au tremblement de terre de 1703 (plus précisément : de remerciements à la Sainte Vierge d’avoir protégé la ville de Rome, qui fut relativement épargnée). Ainsi, que l’on écoute le Gloria, et l’on aura quelque surprise au « Miserere nobis » — trois mesures où l’on passe joyeusement de ré mineur à ut mineur, par l’intermédiaire d’une belle neuvième (retard) qui, à peine résolue, enchaîne sur une septième (nouveau retard), et encore une autre, trois mesures intenses de contrition doloriste. De même, le miracle de l’incarnation (« Et incarnatus est ») et le drame de la crucifixion, dans le Credo, seront exprimés par un passage aux teintes madrigalesques — dans lesquelles l’ensemble Le Parnasse français, d’ailleurs, se fait plus incisif. Décidément, cette Missa Clementina est plus curieuse qu’il y paraît de prime abord.
Certains pourraient toutefois se demander pourquoi avoir choisi ces œuvres finalement si peu baroques, si peu empreintes de la personnalité propre d’Alessandro Scarlatti ; la beauté de ce que fait Le Parnasse français est, en soi, une réponse. À la simplicité des effets mis en œuvre par le compositeur répond une rectitude sans faille, une clarté des lignes et des intervalles, un subtil équilibre entre les parties, où l’attraction du dessus et de la basse guide l’écoute sans jamais masquer le reste, où aucune voix n’est dénuée de personnalité sans pourtant nuire à l’ensemble. Cet ensemble se caractérise aussi par une séduction immédiate du son — un son qui a de la personnalité, comme chacun de ses membres, un son que l’on reconnaît, un son loin d’être désincarné.
Le travail effectué par Louis Castelain et son équipe est manifestement porté par un amour profond des partitions choisies ; on ne saurait donner de critère objectif qui permette réellement de dire qu’on entend cela, mais émane de cette lecture un sentiment de respect et d’émerveillement tout à fait communicatifs. On est séduit, en somme, et envahis, à l’écoute, par une lumière rassérénante et vivifiante, tel qu’on en voit à Rome.
Rome. Via dei Falegnami. (Tous droits réservés.)
Messa Clementina, Gloria
INFORMATIONS
Scarlatti : Motets O Magnum mysterium et Salve Regina.
Palestrina : Surrexit pastor bonus et Tu es Petrus
Le Parnasse français
Louis Castelain, dir.
1 CD, 51’06, Paraty, 2016.
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