par Wissâm Feuillet · publié mercredi 14 decembre 2016 · ¶¶¶¶
Le temps permet parfois à ce qui, de prime abord, semblait d’un accès un peu rude, de se révéler dans toute sa splendeur et son éclat : c’est là que l’on reconnaît les merveilles. Nous avons pris le temps de goûter le généreux Scarlatti de Frédérick Haas (trois disques, trente-cinq sonates), et nous ne regrettons pas d’avoir attendu un peu plus que prévu.
Loin d’être réduit à être une sorte de « classique » de la littérature pour piano, et même un pensum pour pianistes de troisième cycle, musique sèche, rêche, mécanique, Frédérick Haas se fait l’ambassadeur d’un autre Scarlatti : pointu, coloré, rond, d’une acuité remarquable, dynamique. L’un des meilleurs qu’on ait pu entendre avec celui de Pierre Hantaï.
Frédérick Haas avait déjà enregistré des sonates de Scarlatti il y a maintenant plus d’une dizaine d’années, on peut donc aisément le dire familier du compositeur. Par conséquent, l’intérêt de ce nouvel enregistrement est double : les sonates enregistrées ne sont pas toutes les mêmes, et le regard du musicien est différent, plus « mûr », explique-t-il lui-même dans le livret d’accompagnement. Dès le début de l’écoute — à vrai dire, dès la deuxième piste du disque 1 — nous avons été saisis par la précision de son jeu. Admirons, par exemple, la rigueur d’horloge de la sonate K. 113 qui se déploie avec une régularité vertigineuse. Cette musique que nous avions jugée « mécanique », à nos propres débuts derrière les claviers, semble, sous les doigts de Frédérick Haas, plus humaine, du fait qu’il en communique très simplement toute la joie, la jubilation, l’extravagance. Bien plus, il sait en souligner les inflexions les plus subtiles, notamment tous les traits « hispanisants », les dissonances (à écouter dans la K. 56, la K. 175 ou la K. 111). Souvent percussif — parfois au risque d’entendre un peu trop « claquer » le clavier —, il sait aussi joliment chanter les passages les plus doux et méditatifs.
À chaque instant, l’on se dit qu’on a là une très belle illustration d’un heureux propos de Blandine Verlet : « Grâce à une mécanique tout aussi simple que légère, la perception du pincement de la corde par le bec qui la fait entrer en vibration est aussi vive que l’éclatement de la groseille ou du grain de cassis sous la dent. » Oui, aussi vive que l’éclatement d’une groseille : sous chaque doigt, derrière chaque articulation de Frédérick Haas, il y a un grain qui éclate et que l’on entend éclater. La K. 126, une sorte d’ample andante, l’illustre à merveille : l’on y distingue presque, avant que sonne la corde, l’attente du doigt qui s’apprête à se poser sur le clavier et l’enfoncement de la touche.
Le choix des sonates fait par Frédérick Haas, parmi les cinq-cents-cinquante-cinq écrites par Scarlatti, semble tout à fait judicieux. L’auditeur désireux de connaître Scarlatti sans s’infliger immédiatement une version intégrale qui pourrait l’en dégoûter, trouvera là l’objet idéal : non seulement le coffret est admirablement édité, mais il présente une variété de tempos et de tonalités qui nous font faire le tour de Scarlatti en quelques heures. Ajoutons que le clavecin utilisé pour l’enregistrement, un Hemsch de 1751, de la collection personnelle du musicien, est un ravissement : l’instrument est certes magnifique, mais il a dans le son une douce acidité qui semble parfaitement convenir à la musique de Scarlatti, bien qu’il s’agisse d’un instrument français que l’on aurait plutôt destiné à la musique de Rameau ou d’Agincourt.
Le dernier des trois disques du coffret s’achève sur le fameux Fandango de Soler, soit un véritable « tube » de la littérature pour clavecin du xviiie siècle, qui jette un pont entre les sonates « à l’espagnole » de Scarlatti et la musique de Soler. C’est une conclusion en apothéose, mais nous sommes d’avis que bien des sonates de Scarlatti proposées par Frédérick Haas, d’une épaisseur supérieure, valent bien plus le détour. L’itinéraire dans la musique de Scarlatti se poursuit dans le livret d’accompagnement, dans lequel on trouvera un très bel entretien réalisé par Marc Dumont, extrêmement stimulant, dans lequel Frédérick Haas dévoile son rapport à ces œuvres et, de façon plus générale, son rapport au clavecin, qui éclaire son interprétation.
K.111, Allegro
K.56, Con spirito
INFORMATIONS
Frédérick Haas, clavecin
3 CD, Hitasura Productions, 2016.
D’AUTRES ARTICLES
Jakub.
On dit toujours force mal des réseaux sociaux, mais sans…