par Loïc Chahine · publié jeudi 10 novembre 2016 · ¶¶¶¶
Plus connu, sans doute, pour ses cantates françaises, Louis-Nicolas Clérambault lègue aussi à la postérité une généreuse quantité de musique religieuse. Il n’y a rien là d’étonnant de la part d’un compositeur qui « fit exécuter, à l’âge de treize ans, un motet à grand chœur de sa composition », qui fut organise à Saint-Cyr et à Saint-Sulpice, ainsi que nous l’apprend (ou nous le rappelle) le texte du livret, signé Jean Duron. Fabien Armengaud et son ensemble Sébastien de Brossard ont réuni huit motets à trois voix d’homme avec ou sans « symphonie », c’est-à-dire instruments de dessus qui s’ajoutent à la basse continue, de longueur variable, motets « conservés en copies manuscrites non autographes », écrit Jean Duron, motets, ajoute-t-il, dont « nous ignorons tout […] que ce soit pour la datation des œuvres, les commanditaires, les destinataires ou les lieux d’exécution. »
Sans relever tout à fait de la « dévotion à la mode », les œuvres religieuses de Clérambault se parent d’agréables séductions ; l’on est assez loin, ici, du mysticisme de Charpentier (qui appartient à la génération précédente) ; si le contrepoint demeure très soigné, l’ambiance est, dans l’ensemble, plus enlevée, plus vive, voire plus joviale, avec des rythmes bien marqués, des basses nettement caractérisées — ce qui n’empêche pas quelques mouvements recueillis, comme le « Quam felix » du Motet pour la canonisation de Saint Pie, dans lequel on relèvera d’ailleurs un très beau passage entièrement a cappella. S’il s’autorise quelques pages théâtrales, telles le récit « Facio conjurat » et le trio qui le suit, dans le même Motet pour la canonisation de Saint Pie, Clérambault ne cherche que très rarement l’effet et conserve une certaine réserve. Il y a quelque chose de l’honnête homme dans cette musique, dans son refus de tout excès — excès de contrition comme excès de spectaculaire. Et ces qualités sont fort bien rendues par l’ensemble Sébastien de Brossard qui se garde de toute outrance, conformément à la doctrine classique qui règle le comportement de l’honnête homme.
On retrouve avec plaisir les trois chanteurs rompus au répertoire français que sont Cyril Auvity, Jean-François Novelli et Alain Buet. Chacun offre ici une performance impeccable, se distinguant subtilement des deux autres. Cyril Auvity par son sens de la ligne toujours tendue et son timbre envoûtant, en particulier dans l’aigu, Jean-François Novelli (à qui revient la partie la plus ingrate, si l’on peut dire, celle de « taille ») par une certaine élégance et une indéniable délicatesse, Alain Buet par son sens de la dramaturgie, chacun apporte quelque chose à l’édifice qui, à la fin, s’équilibre. Les trois chanteurs s’unissent avec bonheur dans les trios et les duos. Partout, le texte est remarquablement intelligible.
Du côté de l’ensemble instrumental, les timbres ne sont pas moins beaux ; non seulement la cohésion est idéale, évoquant çà et là des formations quasi orchestrales (ouverture du premier motet, tempête « Impia tucarum gens »), mais on a aussi le plaisir de les apprécier dialoguant çà et là seuls avec les voix, et il aurait été dommage d’être privé, par exemple, du solo de hautbois de Guillaume Cuiller (« Trina pius », avec Jean-François Novelli), ou de la douce partie de flûte à bec de Maud Caille dans le Panis angelicus. Seuls quelques passages de violon solo semblent mal assurés, dans l’antienne Monstra te.
Le continuo est particulièrement flamboyant, grâce à la basse de violon vivace de Mathurin Matharel et à la réalisation très inventive (sans exhibitionnisme, mais avec quelle capacité de caractérisation !) de Fabien Armengaud au clavecin et à l’orgue.
C’est d’ailleurs la direction de l’ensemble qui est la plus remarquable : sans affectation aucune, Fabien Armengaud conduit ses onze musiciens avec finesse, marquant les rythmes sans pour autant aller nettement vers la danse, tendant les lignes quand il le faut, théâtralisant quelques pages, se recueillant dans quelques autres (ainsi qu’il convient), équilibrant les forces (instruments entre eux comme voix et instruments)… Tout au plus regrettera-t-on que quelques rares passages complexes manquent de clarté, peut-être de verticalité de lecture. Tout le disque est sous-tendu par un sens consommé de la dramaturgie et de l’équilibre.
C’est d’ailleurs sans nul doute ce qui fait qu’on écoute tout le disque avec aisance, se laissant mener docilement d’un bout à l’autre, sans ennui, sans alanguissement, et l’on y revient avec l’assurance d’y retrouver le même plaisir.
Motet pour la Canonisation de Saint Pie, «Impia Turcarum Gens»
Magnificat, «Gloria Patri»
INFORMATIONS
Ensemble Sébastien de Brossard
Cyril Auvity, haute-contre
Jean-François Novelli, taille
Alain Buet, basse-taille
Fabien Armengaud, orgue, clavecin et direction
1 CD, 75’01, Paraty, 2016.
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