Conversation à une voix

par Loïc Chahine · publié dimanche 11 octobre 2015

Villipender les réseaux sociaux est aujourd’hui un lieu commun devenu si omniprésent et si agaçant qu’il ne vaut même plus la peine qu’on s’y arrête pour le réfuter. Pourtant, il ne fait aucun doute que l’entreprise d’André Markowicz suffirait à réfuter ces thèses dégoûtées : depuis mi-2013, il entretient régulièrement (tous les deux ou trois jours) ceux qui veulent bien le lire sur son profil de toutes sortes de sujets, depuis l’actualité internationale jusqu’aux partis-pris de traduction, en passant par les souvenirs plus ou moins personnels. Le volume justement intitulé Partages qui a paru récemment aux éditions Inculte est la version livre de ces « chroniques », comme les appelle leur auteur, de juin 2013 à juillet 2014.

Pourquoi, me direz-vous, acheter ce bouquin alors qu’on peut lire tout ça sur Facebook sans débourser un centime ? Et pourquoi, d’abord, en faire un livre ? En premier lieu, parce que bien des gens restent attachés à la chose imprimée (une étude vient encore de le confirmer). L’attitude face au livre n’est pas la même face à l’écran, le confort de lecture n’est pas le même non plus — surtout sur Facebook. D’ailleurs, il peut être fastidieux de remonter loin un « fil d’actualité » du réseau. Enfin, l’objet lui-même — puisque s’agissant du livre, on est généralement en contact avec lui quand on l’utilise, ce qui n’est pas tout à fait le cas du CD — est agréable. Outre la couverture, assez frappante et d’une certaine élégance (quant à la photo, vous en trouverez l’explication dans une “chronique” des Partages), il faut souligner la qualité de la typographie et de la mise en page, celle aussi du papier choisi, légèrement teinté (comme chez Actes Sud ou Allia, par exemple)… Bref, un joli objet qu’on a plaisir à avoir en mains et sous les yeux.

Évidemment, le contenu est plus qu’à la hauteur. Que Markowicz soit passionnant quand il parle de traduction, quand il « traduit sans traduire », c’est-à-dire quand il explique un poème en détail et mot à mot, vers à vers, c’était attendu. On trouvera d’ailleurs au fil des pages des traductions pour certaines inédites, pour d’autres (quasi) introuvables. De plus, Partages invite à de nombreuses découvertes d’auteurs russes moins connus — il ne faut par rater un texte bien amusant de Daniil Charms traduit aux pages 277 et suivantes. Mais l’écrivain-traducteur (tout traducteur est un écrivain, mais tout écrivain n’est pas un traducteur, il faut donc bien mettre les deux mots) est tout aussi captivant quand il évoque les problèmes liés au nationalisme breton, par exemple, et qu’il en fait des réflexions sur les nationalismes en général et sur la société contemporaine. Les souvenirs, familiaux, personnels, professionnels, sont souvent savoureux, souvent intéressants — au sens originel et classique : c’est-à-dire qu’on y prend intérêt —, et souvent touchants. L’humour n’est pas non plus absent — voyez « Le merle et le bœuf », pages 125 et 126.

Certains pourront regretter le caractère disparate, pour ne pas dire pêle-mêle, de l’ouvrage, où se croisent des choses sans grand rapport entre elles, du moins en apparence. Tel n’est pas notre avis, car la richesse d’une pensée — et Partages a quelque chose du livre de pensées —, c’est aussi de parcourir — et avec quel bonheur ici ! —, des domaines divers. Ajoutons que le style est fluide, plutôt libre et généralement teinté d’oralité, ce qui le rend terriblement attachant. En lisant les Partages d’André Markowicz, on a souvent l’impression de s’entretenir (presque à bâtons-rompus) avec l’un des esprits brillants de notre temps — un entretien où l’on se garderait bien de couper la parole à son interlocuteur pour ne faire que s’abreuver de ses paroles, fussent-elles écrites et imprimées.

INFORMATIONS

André Markowicz, Partages

Inculte, 2015.

D’AUTRES ARTICLES

Visée aux vents. Robert de Visée, La Musique de la Chambre du Roy • Manuel Strapoli et al..

Tourments, mais encore ?. Anima Sacra

Jakub.

Mafalde corte con Zucchine e Gamberetti

On dit toujours force mal des réseaux sociaux, mais sans…