par Loïc Chahine · publié dimanche 5 février 2017
Il est tard — 22h15, pour un début de concert « classique », c’est tard —, le public est clairsemé dans la petite salle de 80 places, de sorte qu’on a l’impression de faire partie des happy few. Sur la scène, il y a deux clavecins, rouges tous deux, l’un tout petit, l’autre, long, de modèle italien, un peu plus décoré ; tous deux sont de Philippe Humeau.
L’an dernier, déjà, nous avions écouté Bertrand Cuiller dans un programme de « virginalistes » anglais (guillemets, car ils ne jouaient pas que du virginal, ces compositeurs, mais aussi du clavecin), et c’était l’émerveillement. Nous avons vanté le toucher, vif et argenté, la souplesse du jeu, la netteté du phrasé et bien d’autres choses : nous pourrions les reprendre telles quelles, car de nouveau, c’était l’émerveillement.
C’est sur le petit clavecin que Bertrand Cuiller a commencé par une Pavan de William Byrd, un instrument au son aussi puissant qu’enchanteur ; la Pavan était une espèce de rêve ; la Galiard qui allait avec a emporté l’auditeur dans des tourbillons d’inventivité constante. On pourrait ainsi commenter, paraphrase chaque pièce du programme. Signalons tout particulièrement The Battell de William Byrd, vaste pièce programmatique en plusieurs mouvements, que Bertrand Cuiller a su porter jusqu’au délire ; la virtuosité, de fait, n’est pas démonstrative, elle est enivrement ; et, chose inouïe, on aura vu le claveciniste avec une main sur l’un des clavecins, et l’autre sur l’autre ! Il y a quelque chose de presque musique minimaliste, là-dedans, et pourtant, aucun ennui — et des moments d’une infinie poésie.
Après une pavane d’Orlando Gibbons et Three French Corantos de William Byrd avec pas mal de rebond et de surprises rythmiques, quelques danses du tout début de l’école britannique de clavier, dont l’entêtant My Lady Careys Dompte et d’aimables variations sur la Romanesca ont conclu le programme avec quelque chose de festif. Après le « jardin anglais » de l’an passé, voici The English Dancing Room.
Tout cela a l’air tellement simple quand on l’écoute ! Il semble que l’interprète n’a qu’à faire les notes, car il n’y a dans le jeu aucune affectation — et pourtant, on sait que c’est bien plus que cela. Mais pour l’auditeur, il n’y avait qu’à se laisser porter. Cette musique anglaise qui, chez d’autres, peut paraître si austère, si convenue, avec Bertrand Cuiller devient vie et expression, emporte l’auditeur au loin — même pas dans l’Angleterre du xvie siècle, non : simplement ailleurs.
INFORMATIONS
Musique anglaises du xvie siècle
Bertrand Cuiller, clavecins
Concert du 4 février 2017, 22h15.
Bertrand Cuiller redonnera ce programme dimanche 5 février à 20h.
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