Une journée avec le violon à la Chabotterie

par Loïc Chahine · publié jeudi 30 juillet 2015

Je fus hier, ma chère bonne1, au logis de la Chabotterie en Vendée, où la compagnie a été régalée de maints plaisirs enchanteurs. Nous eûmes d’abord loisir, étant arrivés dans le début de l’après-dîner [c’est-à-dire l’après-midi] de voir un peu l’intérieur du logis dont les pièces sont remplies d’attraits. Il s’y trouve un mélange curieux de l’hôtel particulier avec la maison de campagne. Mille objets anciens sont offerts à la vue, et l’on y remarque, outre des meubles dont l’antiquité va de la Renaissance pour les plus vieux, à l’époque de Louis XVI. La cuisine, quoique fort sombre, m’a particulièrement ravi et je ne doute guère que vous eussiez goûté, ma bien chère, deux arrosoirs qui m’ont semblé de cuivre ; pour moi, car on a ses manies, mon œil a été attiré aussi par un joli moulin à café d’une forme élégante comme je n’en avais jamais vu.

Après ce tour des appartements dont je ne vous dis point le détail tout entier afin que, le visitant si l’occasion s’en présente, vous en ayez encore la surprise, nos oreilles eurent à leur tour leur content. Le maître des musiques du lieu avait imaginé deux concerts qui racontassent quelque chose du violon au temps de Louis le Grand. Le premier de ces concerts devait figurer la danse, puis le second montrer la manière dont le violon s’était, si je puis dire, émancipé de la danse et avait acquis sont répertoire propre.

Vous savez que le violon a été chez nous Français l’instrument qui accompagnait la danse, mais ce que peut-être vous ignorez comme moi-même avant que je l’apprenne pendant la conférence de Nathalie Lecomte, c’est que l’accession même à la dignité de maître violon était sanctionnée par un examen de musique et de danse : on n’était point maître violon sans être maître à danser, et c’est dire assez leur étroit parentage. Aussi était-il juste, avant que de se livrer aux sonates, de donner quelque place aux entrées de ballet.

C’est là une musique que l’on entend trop peu, trop rarement. On nous parle beaucoup du faste des ballets de cour, de leur inventivité et du goût qu’avait Louis XIV pour eux, ayant, comme ses ancêtres et les gentilshommes de son temps été formé à la danse comme à l’escrime et à l’équitation mais ayant développé pour l’art de danser un amour immodéré, au point, raconte-t-on, de se rendre malade pour s’y entraîner, mais on entend jamais la musique qui accompagnait les pas. Afin d’en proposer un aperçu — passez-moi cette négligence d’expression s’agissant de choses à entendre — l’ensemble Aliquando a recueilli un bon nombre d’entrées dansées par le Roi Soleil2.

Souvenez-vous que c’est par la représentation dansée que le cardinal de Mazarin avait choisi de montrer le jeune roi à son peuple après les troubles de la Fronde, sûr que les Parisiens seraient si charmés des talents de danseur de Sa Majesté qu’ils l’aimeraient. Le roi paru d’abord en 1651 dans un Ballet de Cassandre puis dans un Ballet des Fêtes de Bacchus, mais c’est surtout le Ballet de la Nuit de 1653 qui est resté fameux, car après y avoir paru sous les traits d’une Heure, d’un Ris, d’un Ardent, d’un Curieux et d’un Furieux, Louis s’y montra sous ceux du Soleil levant. Il convient aussi de se rappeler que, de même que le ballet aimait mélanger, ou plutôt alterner les personnages héroïques et grotesques, de même on en trouve de tous genres dans la liste de ceux qu’a dansés Louis XIV : il ne dansa pas que le Soleil ou, comme dans le Grand Ballet des Bienvenus (1655) « le plus grand roi d’Europe » : de même que le genre du ballet de cour mélangeait l’héroïque et le grotesque, de même on retrouve ce mélange dans la carrière de danseur du roi, où il dansera aussi bien « le Siècle d’or » (Ballet du Temps, 1654) qu’« un Esprit follet » (Ballet de Psyché, 1656), « un Berger » (Ballet des Arts, 1663) qu’« un Égyptien » (c’est-à-dire un Bohémien, un Gitan, Le Mariage forcé, 1664), et, comme le ballet était une affaire presque exclusivement masculine et que donc les hommes faisaient les femmes, Cérès (Ballet des Saisons, 1661) qu’« une fille de village » (Les Noces de village, 1663).

Mais venons-en à la musique, car c’est elle qui doit nous occuper. Comme on ne l’entend jamais, vous ne pourrez guère aisément vous en faire une idée3. C’est quelque chose d’à la fois nettement rythmé et contrapuntique, et même s’il peut y avoir, je le concède, quelque chose de parfois un peu répétitif parce que c’est de la musique, si l’on peut dire, utilitaire — destinée à accompagner et à soutenir la danse —, mais qui a lu les partitions ou écouté avec attention ce qui peut l’être sait que la polyphonie est très riche, et que même un simple menuet des Amours déguisés (lequel fut probablement dansé par Mademoiselle de Sévigné, la future Madame de Grignan) recèle une écriture très soignée.

L’ensemble Aliquando a fort réjoui avec les pièces qu’il a fort habilement choisies, mêlant entrées graves et plus enlevées, choisissant aussi celles qui offrent à l’oreille des danses nettement reconnaissables comme sarabandes, menuets, gavottes, courantes et chaconnes. Je dois vous avouer que j’ai particulièrement aimé les extraits du Ballet de la Raillerie, où une « Sarabande pour le concert du Roi » s’enchaîne avec une très jolie « Bourrée pour le Roi » (1re entrée), et dont la 12e (et dernière) entrée, intitulée « La Louchie » dans la partition, est une longue pièce avec basse obstinée que les Italiens appellent, je crois, Romanesca. Même avec un effectif réduit à un par partie, les cinq musiciens ont su faire sonner ces pièces sans jamais tomber dans l’excès, sans les tirer ni vers le contrepoint rigoureux, ni vers une simplicité excessive. Le dessus ressortait nettement, mais sans étouffer, comme c’est parfois le cas, les autres parties.

La rigueur avec laquelle ce programme avait été préparé ne s’arrêtait pas au choix savant des pièces, lesquelles étaient prises parmi celles qu’avait dansées Louis XIV et présentées dans l’ordre chronologique : pour se rapprocher encore de la façon de jouer des musiciens qu’avait Lully à sa disposition, Aliquando s’est appuyé sur les préceptes que Muffat, qui les avait observés à Paris avant de partir en terres germaniques, a consignés en tête de son Florilegium Secundum, sous le titre d’Observationes Primæ in Lulliano-Gallicum choreumata exhibendi modum. On y parle en particulier des coups d’archets et de la tenue à la française, différente de la tenue italienne : au lieu de tenir l’archet uniquement par la baguette, c’est en plaçant le pouce sous la hausse — on notera d’ailleurs que la violoniste et les “altistes” ont des archets à hausse coincée, ceux à vis ne prenant leur essor qu’au xviiie siècle — qu’on le tient ; il en résulte des attaques beaucoup plus marquées.

C’était une chose bien agréable que d’entendre tous ces airs à danser, de les goûter avec les oreilles et l’on souhaiterait que l’occasion en soit offerte plus souvent.

Elle l’est d’entendre les pièces qui composaient le second concert, suites et sonates. On y a écouté d’abord une suite de pièces religieuses faites pour servir d’introduction à des motets, lesquelles rappelaient qu’à côté de la danse, le violon se mêlait volontiers aux voix chantées. Là brillait la capacité d’Aliquando à créer immédiatement, en quelques notes et accords, une atmosphère. Pas un moment de flottement ou de doute. Mais le corps du programme était fait d’ une sonate de M. Rebel pour le violon mêlée de récits pour la viole, d’une sonate de la demoiselle Jacquet de la Guerre qui avait aussi son récit de viole, et d’un trio de M. Marais avec deux violons et la basse. Toutes ces pièces ont été exécutées avec toute l’élégance qui convient. Stéphanie Paulet, au premier violon, après avoir fait danser puis chanter la louange du Très-Haut, ou peu s’en faut, a su trouver la douceur et la fluidité qui vont si bien à beaucoup de sonates françaises, sans pour autant délaisser la vivacité quand elle seyait. C’est à la vivacité qu’Oksana Vasilkova excellait particulièrement à la basse de viole, manquant peut-être un peu de poésie dans les pièces plus lentes. À mon goût, son Tombeau de M. de Lully de Marais aurait gagné à être plus dramatique. Il faut dire qu’elle passait avec aisance du violon à la viole, alors même qu’elle était à l’alto dans le premier programme.

Saviez-vous, ma chère bonne, que Westhoff s’était fait entendre à la cour de Louis XIV ? Il y joua une sonate dont le roi demanda qu’on répétât un passage qu’il avait nommé « la guerre », aussi le nom de la Guerre est restée à cette sonate que Stéphanie Paulet a eu la bonne idée d’inclure dans le programme, ce qui apportait une diversité bienvenue car l’écriture des Allemands pour le violon était bien différente de celles des Français, usant de beaucoup de virtuosité, de traits rapides, de doubles cordes, d’arpèges. Tout ceci a été parfaitement réalisé, avec une aisance et une musicalité qui ne peuvent susciter que l’admiration, tant on est loin du tour de force. François Poly à la basse de violon et Elisabeth Geiger à l’orgue et au clavecin ont été des compagnons attentionnés. Je ne saurais passer sous silence la belle toccata de Muffat jouée au clavecin par Elisabeth Geiger.

Aliquando, ma chère bonne, veut dire « une fois ». Nous avons entendu l’ensemble deux fois dans la même journée, redoublant à chaque fois d’à-propos et d’exellence, et nous l’entendrions encore maintes autres.

Notes

1 Madame de Sévigné, dans ses lettres, use souvent de cette apostrophe à la fois familière, détendue et affectueuse.

2. La liste a été dressée par Nathalie Lecomte dans son livre Entre cours et jardins d’illusion : le ballet en Europe (1515–1715), CND, 2014.

3. En mettant de côté l’assez médiocre disque d’Arcadia Baroque Ensemble (dir. Kevin Mallon) enregistré en 1996 (Naxos), et qui proposait des extraits d’Alcidiane et Polexandre et de L’Amour malade, le Ballet des Plaisirs et celui de Xerxès, il faudra plutôt se tourner vers le Ballet de Flore et le Ballet des Arts enregistrés par La Simphonie du Marais (resp. 2001 et 2008, chez Accord). On signalera aussi, quoiqu’il soit par endroits étrange (pas très français, en fait), le programme de récits italiens de Lully concocté par La Risonanza (Glossa).

INFORMATIONS

Le violon à l’honneur à la cour de Louis le Grand.

Ensemble Aliquando. La Chabotterie, dimanche 26 juillet 2015.

1er concert : extraits de ballets dansés par Louis XIV, musique principalement de Lully.

Stéphanie Paulet, dessus de violon
Guillaume Humbrecht, haute-contre de violon
Diane Chmela, taille de violon
Oksana Vasilkova, quinte de violon
François Poly, basse de violon.

Conférence « Louis XIV danseur » de Nathalie Lecomte.

2nd concert : œuvres de Henry Du Mont, Marc-Antoine Charpentier, Élisabeth Jacquet de la Guerre, Marin Marais, Jean-Féry Rebel, Georg Muffat et Johann Paul von Westhoff.

Stéphanie Paulet, violon
Oksana Vasilkova, violon et basse de viole
François Poly, basse de violon
Elisabeth Geiger, clavecin et orgue.

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