Au royaume de Pierre Boulez

par Loïc Chahine · publié mardi 14 juin 2016

Paru quelques mois à peine après la mort de Pierre Boulez, ce petit livre d’Entretiens de Pierre Boulez avec Michel Archimbaud prend de ce fait une allure quasi testamentaire. De fait, il constitue sans doute un résumé alléchant de la pensée du compositeur comme du chef d’orchestre, mais aussi plus généralement de l’artiste, en particulier dans ses rapports privilégiés à la peinture, et de l’homme, car on le suit à travers un dédale de figures comme Jean-Louis Barrault, Bruno Maderna, Jean Genet, Henri Michaux…

« Résumé », disons-nous, car les principaux aspects non seulement de sa pensée, mais aussi de sa carrière, s’y retrouvent. On apprécie particulièrement la structuration en neuf chapitres : « Parcours », « Composition », « Direction d’orchestre », « Enseignement », « Musiques d’hier et d’aujourd’hui », « Opéra, danse et ballet », « Musique et littérature », « Musique et peinture », « Structures et pouvoir ». Ces chapitres sont de longueur inégale : « Parcours », par exemple, est le plus long, et résume véritablement un cheminement, « Enseignement » est plus court, mais dense.

« Alléchant », disons-nous, parce que l’entretien est une forme décidément agréable à lire. Des sujets divers sont abordés, sans jamais devenir trop techniques, ce qui découragerait le non-mélomane, mais — c’est tout de même Boulez — sans superficialité. On retrouve le franc-parler de celui qui n’hésite pas à dire son désintérêt total pour l’opéra baroque, par exemple. On pourrait s’en agacer, bien sûr, mais en même temps, cela ne rend-il pas le personnage plus humain ? Boulez, comme toujours, assume son « je » sans pourtant jouer d’égoïsme, et c’est là, sans doute, tout l’intérêt de ses écrits comme de ses propos (et de ses propositions).

On a aussi quelques surprises. Ainsi, qui se serait attendu à trouver en Boulez un défenseur de l’historiquement informé ? (Pastichant La Fontaine, on pourrait dire « On ne s’attendait guère / De voir Boulez en cette affaire. ») Et pourtant, pages 107 et 108…

Dans les Variations Goldberg, notamment, on ne peut pas transposer le clavier au piano, parce que la virtuosité de l’œuvre est inscrite sur deux claviers et de ce fait, il est difficile d’en donner une idée au piano. Je suis pourtant peu enclin aux revendications d’authenticité mais, dans ce cas précis, il me semble que le clavecin s’impose pour interpréter les œuvres pour clavier de Bach : que ce soit en raison du dispositif du clavier ou de l’ornementation qui, dans les mouvements lents, est faite pour une sonorité plus grêle, plus mince et moins longue que celle du piano… On peut toujours arriver à transposer, mais je préfère privilégier l’instrument d’origine. Si l’on joue les Variations Goldberg sur un piano, elles ne perdront rien de leur substance, mais le clavecin lui est supérieur comme « vêtement sonore » parce que cette musique a été pensée pour cet instrument et parce que sa sonorité correspond à l’écriture même.

Les questions de Michel Archimbaud ne sont jamais envahissantes et donnent toujours à Pierre Boulez l’occasion de développer un avis intéressant, ce qui est, finalement l’essentiel. La rédaction, enfin, préserve la vivacité de l’oral tout en demeurant élégante à l’écrit.

Avec ces Entretiens, on tient en fait une excellente introduction — et même un peu plus que cela, car même les connaisseurs découvriront des aspects que, sans doute, ils ignoraient — à l’art de Boulez, introduction stimulante pour l’esprit et qui est aussi, bien entendu, une invitation à réécouter son legs en tant que compositeur, en tant que chef, voire, pour les plus spécialistes (car ses écrits sont souvent ardus), en tant qu’auteur.

INFORMATIONS

Pierre Boulez, Entretiens avec Michel Archimbaud

Gallimard, 2016.

Pour en savoir plus, la page du livre sur le site de Gallimard.

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