Quatre pianos pour une journée

par Loïc Chahine · publié samedi 12 octobre 2019

Pour ouvrir cette journée consacrée à Schumann pensée par Sylvie Brély, Schumann Oiseau Prophète se présente comme « un portrait de Schumann entre texte et musique », entremêlant de fait extraits de correspondance et courtes pièces musicales. Le saucissonnage d’œuvres comme le Carnaval, les Kreisleriana ou le Carnaval de Vienne, qu’il faut bien considérer comme étant chacune un tout organique, leur nuit. L’auditeur peine à entrer dans un univers musical et se concentre dès lors sur la narration et le texte — ne disons pas l’anecdotique car dans l’ensemble, les extraits et lettres, bien choisis, relatent autant une vie qu’un mode de pensée. Introduction aimable, sans doute, et probablement bienvenue pour une partie du public.

Autre univers avec l’ensemble Hexaméron. Il s’agit d’évoquer ce que pouvait être la pratique musical autour de Schumann dans sa jeunesse, faite, entre autres, d’arrangements, à l’exemple de ce que le compositeur lui-même fit de l’ouverture d’un opéra de Righini. L’ouverture du Freischütz sort transfigurée de la transcription réalisée par Luca Montebugnoli, qui restitue avec éclat ce qu’elle a de neuf, voire d’expérimental. L’expérience est moins concluante avec la réduction du premier Concerto pour piano de Mendelssohn. L’Allegro con spirito du Septuor op. 74 de Hummel nous rappelle aussi ce qu’était la musique du début du xixe siècle : brillante, encore imprégnée de classicisme mais avec quelque chose de parfois plus emporté, mais aussi de plus kitsch. Hexaméron et son chef-pianiste Luca Montebugnoli n’hésitent d’ailleurs pas à jouer franchement sur ce tableau ; l’ensemble affiche une belle cohésion, mais il manque peut-être encore une maturité qu’on espère le voir acquérir.

Tout cela est charmant, mais avec Laura Fernandez Granero, les choses sérieuses commencent. Un toucher, d’abord, riche, profond, rond, révèle les possibilités expressives du Streicher de 1839 déjà entendu en début d’après midi. L’on se persuade que l’interprète, attachante, sera à suivre. Le propos du concert, intitulé Schumann, la vocalité au piano, aurait mérité à lui seul une conférence explicative d’une demi-heure. Résumé en quelques minutes par Kai Köpp, professeur à l’Université des Arts de Bern dont les recherches sur l’interprétation romantique ont nourri les interprètes, il demeure trop abstrait pour qu’on en perçoive les implications exactes dans la lecture musicale qui suit, marquée par son sens de l’équilibre. Cette expérience nous rappelle opportunément que les instruments ne suffisent pas à faire une exécution historiquement informée si une véritable démarche de recherche ne les accompagne pas. Certains spécialistes du baroques s’intéressent aujourd’hui à la musique romantique en y appliquant les mêmes codes — pour ne pas dire les mêmes recettes — que dans la musique baroque ; tel n’est pas le cas de l’équipe réunie autour de Laura Fernandez Granero, dont l’on goûte l’engagement, et où l’on remarque la violoniste Leila Schayegh, qui a récemment enregistré les sonates de Brahms au terme d’une réflexion approfondie.

Tel n’est pas non plus le cas d’Edoardo Torbianelli, habitué de Royaumont — il y était en résidence de travail pour trois ans. On regrette de n'avoir pas, dans le grand concert du soir, l’occasion de l’entendre en solo ; dans les Fantasiestücke op. 73, Pierre-André Taillard, à la clarinette occupe le devant de la scène, ne laissant que trop peu de place à son partenaire pianiste. Il en va sensiblement de même avec les superbes Märchenerzählungen, où l’alto raffiné de Léa Hennino pâtit de cette suprématie de la clarinette.

Cette Nuit Schumann s’est construite autour du désir du quatuor avec piano I Giardini de se confronter aux instruments anciens et de donner une œuvre rare de Schumann, l’Andante et Variations pour deux pianos, deux violoncelles et cor (WoO 10,1). Œuvre rare, certes, mais pas des plus séduisantes de son auteur, malgré de belles pages… On lui préfère le Quatuor avec piano no 1 op. 47, magnifié par des Giardini en grande forme, engagés et expressifs.

Si l’on doit dresser un bilan, c’est d’abord celui d’une journée certes bien remplie — des temps de pauses n’auraient pas été superflus — mais surtout bien construite, commencée par un rappel biographique, poursuivie par l’imprégnation dans l’époque et l’expérimentation, et couronnée par une soirée remarquable à laquelle la présence de deux pianos anciens donnait un air de fête. Le bilan, c’est aussi celui de pistes de recherches, élément essentiel de la démarche de la fondation Royaumont, que ce soit en donnant à un doctorant, comme l’est Luca Montebugnoli, la possibilité de mettre en œuvre un versant pratique de ses travaux, ou en programmant un concert qui relève presque de l’atelier d’expérimentation, comme le fut le concert de Laura Fernandez Granero et de ses comparses. Le bilan, c’est enfin l’opportunité offerte à des ensembles « sur instruments modernes » de se frotter aux anciens, de décloisonner (le mot fut à la mode) les pratiques et d’établir un dialogue fécond entre interprètes, « pratique historiquement informée » (gardons cette expression à défaut d’une meilleure) et instruments.

Note

Cette aventure autour des pianos anciens se poursuivra au sein de l’association La Nouvelle Athènes, et en particulier lors d’une série de concerts les 11, 18, 20 décembre 2019 et 7 février 2020 à la Salle Cortot (Paris).

INFORMATIONS

Schumann poète

Festival Royaumont, journée du 28 septembre 2019.

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