Là-haut, sur la colline

par Wissâm Feuillet · publié dimanche 14 octobre 2018

Voici dix-neuf ans que les derniers jours d’août accueillent, à Vézelay et dans les villages voisins, les Rencontres musicales qui contribuent au renom de la région et de ses lieux d’exceptions : la basilique de Vézelay, l’église de Saint-Père, l’église d’Asquins… Ces joyaux, pour la plupart du Moyen Âge gothique, faisaient résonner cette année un programme d’un rare équilibre, dernier legs de Nicolas Bucher, le directeur sortant, qui, avant d’intégrer le Centre de musique baroque de Versailles, a su donner tout son sens au nom du festival. « Rencontres musicales » : rencontres humaines, certes, mais aussi rencontre improbable des genres, car à Vézelay, la musique médiévale côtoie le blue grass country, la musique baroque, romantique, populaire, et même les mélodies d’Amérique latine « aux accents chamaniques ». Ici, l’on se dit à chaque instant que des personnes qui ne se seraient jamais rencontrées ont l’occasion d’assister aux mêmes concerts et d’écouter ce qu’elles n’auraient pas spontanément écouté : c’est l’esprit de ce festival.

23 août – La paix des Pyrénées – Galilei Consort

Les festivités se sont ouvertes en majesté avec un premier concert nocturne consacré à la musique sacrée de Cavalli, relativement peu connue aujourd’hui. Le Galilei Consort, sous la direction de Benjamin Chénier, a voulu cependant célébrer, avec Cavalli et sa Missa concertata un événement de l’histoire de France : la paix franco-espagnole de 1659. Cette grande messe à double chœur où les instruments sont concertants n’a pas manqué de puissance dans la basilique de Vézelay, entrecoupée de motets. Les vents (cornets et sacqueboutes) avaient, dès l’ouverture, de très agréables couleurs, rondes et veloutées, ainsi qu’une puissance à la fois démonstrative et intimiste, tout à fait adaptée à l’accompagnement des chanteurs qui étaient un par pupitre, disposition particulièrement efficace lorsqu’on recherche une plus grande lisibilité des parties, puisqu’elles revêtent immédiatement une dimension soliste. Un noyau dur de musiciens aguerris donne à l’ensemble une certaine solidité : Odile Edouard, François Poly, Freddy Eischelberger, Anne Magouët, Paulin Bündgen, Vincent Bouchot… Malgré cela, nous avons regretté que l’un des deux chœurs soit nettement plus faible que l’autre : un timbre de contre-ténor fluet et un recours désagréable au vibrato par la soprano et la basse ont scellé le déséquilibre. Mais c’est d’une conduite sûre et d’indications claires que le concert (et peut-être le travail préparatoire) a surtout manqué : la direction de Benjamin Chénier, un peu impressionniste, d’une trop grande rigidité, égarée dans des gestes imprécis, ne suggère rien, et bien plus, n’indique rien. Il nous a semblé, par conséquent, que chacun (du moins, chez les chanteurs), abordait l’œuvre un peu à sa sauce : voilà qui explique les départs flous, décalés, et les coupures de consonnes finales mal synchronisées. Quelques moments de grâce intenses nous ont toutefois été donnés à entendre : le « O bone Jesu, a due », qui a vu s’entrecroiser les voix d’Anne Magouët et de Paulin Bündgen reste en mémoire pour la douce magie qu’il a su incorporer au milieu de cette messe tonitruante.

Arnaud Marzoratti en résidence

Une des belles idées de ce festival est probablement le fait d’avoir invité Arnaud Marzoratti pour une résidence qui devrait se prolonger encore un an. Ceux qui le connaissaient étaient ravis de retrouver cet artiste complet, personnalité au grand potentiel comique, non dénuée d’une étrangeté indescriptible ; ceux qui ne le connaissaient pas ont découvert un passionnant « objet » musical, parfois difficile à identifier. Dans un atelier participatif, le baryton, tout en racontant l’histoire de l’opéra – non sans quelques raccourcis faciles et incohérences (pourquoi chanter « Le Roy Renaut » ?) –, a cherché à montrer que « chanter est un sport comme un autre ». En T-shirt, short et baskets, il a « revisité » quelques grands classiques opératiques allant de Monteverdi à… Johnny Hallyday, auxquels il nous a invités à participer après quelques exercices physiques et vocaux. Sans prétention, cet atelier a fait sourire et séduit la majorité des participants.

C’est surtout la performance nocturne d’Arnaud Marzoratti et de ses trois acolytes que l’on retient : à 23h30, dans les sous-sols de la mairie de Vézelay, le chanteur a donné à entendre un programme de chansons érotiques du xixe siècle : dans une ambiance feutrée de cabaret aux lumières tamisées, sur fond de projections et de jeux d’ombres sur un paravent, il a chanté cons, culs, braquemards et pines avec un sens de la dramaturgie qui lui est propre, outrancier, souvent surjoué, toujours accompagné de ses trois comparses instrumentistes (Mélanie Flahaut, Isabelle Saint-Yves et Johanne Ralambondrainy) qui, à quelques occasions, formaient un chœur lubrique et malicieux, faussement prude, pour commenter les propos du chanteur, maître ès cochoncetés. Si l’extrême drôlerie de ces chansons et leur paillardise nous ont fait rire aux éclats, tel ne fut pas le cas de tous : certains ont quitté les lieux dès les premières minutes et les rires de la plupart des spectateurs sont restés timides. Unique réserve à ce spectacle total (musical, théâtral et pictural) : la trame narrative s’avérait peu lisible, car narration il y avait, semblait-il, mais elle nous a un peu échappé.

24 août – Ensemble Céladon

À la tête de son propre ensemble, Paulin Bündgen a prouvé qu’avec une grande économie de moyens, un concert, et qui plus est de musique médiévale, pouvait remporter les suffrages d’un public pas forcément amateur ni connaisseur de la production musicale du XIIIe au XVe siècle. Trois voix hautes, une vièle à archet et des percussions ont suffi à faire rayonner psaumes, hymnes et carols anglais dans l’architecture somptueuse de l’église de Saint-Père. On est frappé par cette adéquation du programme avec le lieu, dont les murs se sont comme animés devant une musique qui aurait pu être pensée pour eux. La clarté des voix, leur tranchant et la prononciation de l’ancien anglais qui a été adoptée ont rendu justice à la vocalité de ce répertoire, chanté sans aucune affèterie, simplement soutenu par une humble spatialisation, propre à faire circuler le son.

Si le programme était dominé par une sorte de joie intérieure et discrète, où la douceur était le maître-mot, parfaitement incarnée par la berceuse « Lullay, lullow », le « Carol d’Azincourt », pièce où triomphent les harmonies imitatives, a vu s’effacer la retenue des interprètes pour faire éclater la célébration de la fameuse victoire anglaise. La vièle de Nolwenn Le Guern, qui nous a globalement semblée sous-employée, a rebondi sur la puissance du « Carol d’Azincourt » pour faire sonner avec fougue un carol endiablé, « Gabriel fram Heven-King », démonstration de virtuosité qui avait quelque chose d’une transe. Les médiévo-sceptiques en ont eu pour leur argent.

25 août – Ensemble Clément Janequin

Après le XVIIe et le Moyen Âge, la Renaissance a été honorée par l’ensemble Clément Janequin qui fêtait ses quarante ans d’existence. Pour célébrer cette date anniversaire, les six larrons ont repris quelques-uns plus beaux succès de leurs disques et concerts pour donner une sorte de messe franco-espagnole fictive autour de quatre grands noms : Desprez, Janequin, Sermisy et Morales. L’ensemble tenait quelque peu du patchwork (la trame de l’office était entrecoupée de leçons de ténèbres), mais la qualité de l’interprétation valait le détour : Dominique Visse a encore de la voix, et quelle voix ! Son timbre aimablement nasillard était soutenu par les voix plus rondes de ses quatre compagnons chanteurs et l’orgue positif de Yoann Moulin dans un équilibre remarquable. Malgré quelques problèmes de justesse, la densité des œuvres et la continuité de souffle des musiciens a rempli l’église de joie et de dolence exacerbées.

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