Quand le clavecin français inspirait l’Europe

par Loïc Chahine · publié samedi 22 aout 2015

Quand est annoncé un changement de programme, on craint la déception. On avait choisi, soigneusement, ce qu’on allait écouter. Après tout le bien que j’avais pensé, dit et écrit des deux disques d’Olga Pashchenko au pianoforte (ici et ici), je me faisais, évidemment, une joie d’avoir enfin l’occasion de l’entendre “en vrai” ; surtout qu’il y avait du Reincken au programme, compositeur trop peu joué que j’affectionne particulièrement depuis certain disque de La Rêveuse. On ne déplorera cependant que l’occasion manquée, car le “remplacement” valait tout aussi bien le déplacement, et l’on ne pouvait qu’être rassuré en sachant que ce serait Jean-Luc Ho qui proposerait un programme « autour de Bach et la musique française ». En réalité, on aurait aussi bien fait, si le festival ne s’était pas appelé Bach en Combrailles, de dire « autour de la musique française » tout court, car les pièces choisies par Jean-Luc Ho évoquent le rayonnement de l’école française de clavecin qui s’établit solidement dans le dernier tiers du xviie siècle. On trouvait ainsi principalement de la musique française, un peu de musique allemande, bien sûr, et aussi un peu de musique anglaise (Byrd, Purcell).

En fait, il n’y avait qu’une œuvre de Bach, le choral Nun komm, der Heiden Heiland BWV 659, lequel était mis en relation avec quelques pièces de William Byrd (Sir William Petre Pavan & Galliard et The Queen Alman) dans la partie II (sur quatre), et semblait évoquer l’idée de variations. C’est sans doute la partie qui se rattachait le moins bien à la ligne directrice, d’ailleurs, mais le plaisir d’entendre ses pièces autorisait bien ce petit écart. D’ailleurs, l’abondante charge en ornements du Nun komm de Bach la lie, d’une certaine manière, à l’art du clavecin français — alors même qu’il s’agit, originellement, d’une pièce d’orgue, ce qui, au demeurant, ne transparaissait pas ici, signe sûr de la qualité de l’exécution.

Côté musique française, du Couperin, bien sûr, François et Louis, mais aussi du Nicolas Lebègue, un prélude de Jean-Henry d’Anglebert, la Courante de Madame (probablement Henriette d’Angleterre, fameuse danseuse et partenaire chorégraphique de Louis XIV) de Jacques Champion de Chambonnières, une Sarabande de Denis Gautier, probablement empruntée à une pièce de luth — occasion de rappeler le lien privilégié qu’entretient l’essor du « toucher le clavecin » à la française avec le jeu du luth à la même époque —, et un peu de Lully, par des transcriptions — il n’y a pas que D’Anglebert qui transcrivit du Lully, et David Chung a répertorié plus de cinq cents pièces empruntées au Surintendant et adaptées au clavier. C’est cependant dans le style de D’Anglebert que Jean-Luc Ho a exécuté l’ouverture du Bourgeois Gentilhomme. Signalons d’ailleurs que la Volontary de Purcell, au moins en son début, est si chargée d’ornements qu’elle ne va pas sans rappeler la manière du même D’Anglebert.

Mais la “transition” la plus passionnante est sans doute celle qui conduit Lully vers le monde germanique, et en particulier chez Buxtehude, puisque la première pièce du programme, intitulée Rofilis, aria, et constituée de variations, est une adaptation de la première entrée du Ballet de l’Impatience. Passionnante parce que c’est originellement une pièce “de circonstance”, non destinée à la publication, et qu’elle nous rappelle la circulation de la musique sous forme de copies manuscrites ; passionnante aussi parce qu’il s’agit, du point de vue formel, d’une bourrée, mais qui doit aussi être chantée dans le ballet originel — c’est-à-dire que le tempo doit rester suffisamment raisonnable pour que les paroles soient intelligibles — et que les variations qu’écrit Buxtehude sur cet air appellent elles aussi un tempo modéré, sous peine de ne pas pouvoir exécuter les traits rapides.

On ne se trompe pas, ce me semble, en affirmant que Jean-Luc Ho a conquis l’auditoire. Notons d’abord la qualité acoustique du lieu : l’église de Loubeyrat offrait un peu de revérbaration, ce qui apportait de la résonance, mais en quantité suffisamment raisonnable pour ne rien brouiller, ce qui aurait été dommage. Alliant un toucher ferme mais jamais agressif à une sûreté d’exécution à peu près sans faille, Jean-Luc Ho a rappelé que le clavecin n’est pas un instrument faible et chevrotant, voire dégingandé — c’est l’idée que certains semblent s’en faire. Sous ses doigt, les ornements, qui ont une importance capitale dans la musique française de clavecin, que ce soit chez D’Anglebert ou chez Couperin, et dont aussi chez ceux qui les imitent, ne semblent plus des ornements : ils sont partie intégrante du discours musical. Tout comme la construction du programme, sa lecture ne manquait ni de rigueur ni de fantaisie, et l’on a goûté aussi bien la vivacité que la noblesse de son interprétation empreinte d’hédonisme sonore.

Après un tel concert, on ne serait pas étonné si Jean-Luc Ho revenait à Bach en Combrailles

INFORMATIONS

Jean-Luc Ho, clavecin.

« Autour de Bach et la musique française », œuvres de Byrd, Chambonnières, Gautier, Lebègue, Louis et François Couperin, Lully, Purcell, Buxtehude et Bach.

Concert donné en l’église de Loubeyrat le 13 août 2015 dans le cadre du Festival Bach en Combrailles.

Crédit photo : Daniel Liburski pour Accent Tonique.

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