Persée royal

par Pierre-Antoine Miron · publié mardi 12 avril 2016

Cette soirée était l’une des plus attendues de la saison 15-16 du Théâtre des Champs-Élysées, à la fois par l’originalité de l’œuvre présentée, mais aussi par la qualité de l’affiche, réunissant une distribution plus que prometteuse. Les attentes ont été – et de loin – remplies. Les salves d’applaudissements et les nombreux rappels réservés aux artistes à la fin de la soirée en témoignent.

Avec Armide ou Atys, Persée est sans doute l’une des plus belles tragédies de Lully et Quinault. Est-ce à cause de la complexité des effets scéniques qui s’y déploient, de l’importance de la distribution, ou de la difficulté de l’œuvre qui par moment superpose les solistes, le continuo, les chœurs et l’orchestre en grandes fresques quasi-hollywoodiennes (la scène d’Andromède au rocher reste à ce titre la plus ambitieuse de toutes celles imaginées par Lully en terme de construction musicale) ? Toujours est-il que Persée reste rare à l’affiche. On n’en a qu’un CD dirigé par Christophe Rousset, un DVD dirigé par Hervé Niquet (les deux datant d’une quinzaine d’années) et, dernièrement, une reprise scénique de cette même production à l’Opéra royal de Versailles.

Entendre Persée est donc une denrée enviable, et par là-même réjouissante. Mais, à l’instigation du Centre de musique baroque de Versailles, toujours soucieux de faire entendre des inédits et renouveler la connaissance qu’on a du répertoire français des xviie et xviiie siècles, c’est une version totalement « remixée » de l’ouvrage qui a été retenue pour ce concert, celle jouée en mai 1770 à Versailles pour le mariage du Dauphin, futur Louis XVI, et de Marie-Antoinette, et dont les représentations (deux seulement) inaugurèrent l’Opéra royal du château. Depuis le milieu du xviiie siècle, on avait pris l’habitude de rafraîchir les opéras anciens afin de les maintenir au goût du jour, de profiter des « progrès de l’art » et de les adapter aux qualités spécifiques des talents de la troupe de l’Académie royale de musique, chanteurs et danseurs. Le Persée de 1770 paie un très lourd tribut à cette pratique et, à notre connaissance (la partition étant accessible en ligne sur le site Gallica de la BnF), est l’une des versions les plus retouchées qui aient été conservées. Et tant mieux ! Car, après tout, tant qu’à tenter l’expérience, autant goûter pleinement le mélange des styles.

Les grincheux lullystes et autres baroqueux à petites oreilles, trouveront peut-être la nouvelle partition bruyante et bariolée. Mais, pour qui aime le théâtre et la voix, c’est un régal, et on ne saurait trop remercier les acteurs de cette soirée d’avoir oser une telle aventure. À l’écoute, on est immédiatement séduit par la qualité des retouches apportées, et par leur grande cohérence ; d’autant que celles-ci sont l’œuvre de trois compositeurs différents, célèbres en leur temps mais aujourd’hui bien ignorés : Antoine Dauvergne (actes 1 et 4), François Rebel (acte 2) et Bernard de Bury (acte 3). Dauvergne se signale par l’ouverture et quelques danses de l’acte 1 très originales, et – dans l’acte 4 – une tempête, un chœur de déploration, et deux ariettes très enlevées. Rebel, très âgé à l’époque, se montre dans Persée bien novateur, et on a du mal à reconnaître sa manière dans les pièces ajoutées pour le Cyclope, la Nymphe guerrière et la divinité infernale, d’une teinte très héroïque. Bury, enfin, opère d’excellentes insertions dans l’acte 3, rendant les Gorgones bien plus expressives que dans l’original – et Méduse presque déchirante.

Le succès de la soirée, fort heureusement prolongée par un enregistrement, n’est pas dû qu’à Dauvergne, Berton et Bury (et Lully bien sûr). Il l’est aussi à un Hervé Niquet des grands jours qui dynamise le chœur et l’orchestre du Concert Spirituel avec un talent consommé du théâtre. Tout y est : passion, sensualité, théâtre, danse, atmosphères contrastées. Il est à lui seul chef, chorégraphe, metteur en scène et décorateur. Peu de ses collègues peuvent se targuer d’une telle vision globale d’une œuvre. Il apporte en outre un grand soin à marier le style « ancien » de Lully, raffiné et méticuleux, et celui plus pompeux et exalté des « retoucheurs ».

La distribution réunie par le Centre de musique baroque de Versailles, qu’on sait soucieux du « bien dire » et du « bien chanter », est exemplaire. Honneur aux dames. Hélène Guilmette campe une Andromède aussi expressive que le fut sans doute Sophie Arnould en 1770. Sa voix chaude et légèrement acidulée se plie à toutes les inflexions, et son récitatif se teinte de couleurs subtiles qui en rehaussent l’intérêt. Elle est Andromède, incontestablement. Katherine Watson, qui rappelle par maints aspects la jeune Véronique Gens, n’a pas beaucoup d’occasion de briller dans le personnage de Mérope, que la version de 1770 sacrifie un peu. Elle sert pourtant le rôle avec une voix très riche dans le medium et une parfaite maîtrise du style et de la langue française. Chantal Santon déploie dans l’aigu une voix rayonnante, gorgée d’harmoniques et servie par une technique impressionnante : si elle fait mouche dès ses premières apparitions, c’est dans le rôle de Vénus, qui clôt l’ouvrage, qu’elle peut le mieux montrer l’étendue de ses moyens. Là où d’autres n’auraient semblé qu’une utilité « ex machina », elle hisse le rôle à l’égal des autres de la tragédie. Marie Lenormand est une Cassiope à la voix solide et au timbre charnu, à la fois reine charismatique et mère éplorée. Marie Kalinine est parfaitement distribuée en Méduse : sa voix épaisse et dramatique autant que son physique de rêve conviennent exactement au rôle – pour une version de concert – en soulignant la distorsion entre la beauté originel du personnage et sa transformation en monstre par Pallas.

Les hommes ne sont pas en reste. Mathias Vidal, qui est incontestablement aujourd’hui l’un des meilleurs (le meilleur ?) pour ce répertoire, émeut toujours autant par son engagement vocal et sa déclamation exemplaire. Il triomphe dans le rôle de Persée tout autant par la sensibilité de ses récitatifs que par la virtuosité hallucinante de la dernière ariette avec chœur qu’il affronte héroïquement. Cyrille Dubois est un Mercure plein de zèle, qu’on entend chanter ici avec encore plus de raffinement qu’à l’habitude, projetant son texte avec une articulation parfaite qui semble donner à sa voix une grande souplesse. Zachary Wilder se charge du rôle difficile de la seconde Gorgone (le plus aigu de la partition) avec beaucoup d’investissement, et une voix sonore au timbre séduisant. Thomas Dolié – et c’est un luxe – apparaît tout au long de l’ouvrage dans divers petits rôles à qui il prête sa voix chaude et son sens du théâtre. Il démontre une fois de plus qu’il est l’un des meilleurs barytons actuels pour ce répertoire. Tassis Christoyannis, baryton grec passionné de musique française et qu’on retrouve à chaque fois avec plaisir, rappelle le souvenir d’Henri Larrivée dans le rôle de Phinée : sa voix dramatique et son charisme naturel donnent au personnage une belle stature. Enfin, Jean Teitgen, doté d’une voix impressionnante, parvient sans mal à la plier aux exigences de ce répertoire. Dans le rôle de Céphée, en duo avec Marie Lenormand, il forme un couple royal de grande classe, et brille aussi dans le petit rôle d’une Divinité infernal dont il chante les répliques avec goût.

On l’aura compris, c’était une soirée de premier plan que ce Persée au Théâtre des Champs-Élysées. Vivement l’enregistrement.

INFORMATIONS

Persée de Lully (Version de 1770)

Mathias Vidal, Persée
Hélène Guilmette, Andromède
Katherine Watson, Mérope
Tassis Christoyannis, Phinée
Jean Teitgen, Céphée, une Divinité infernale
Chantal Santon-Jeffery, Vénus, une Éthiopienne, une Nymphe guerrière
Marie Lenormand, Cassiope
Cyrille Dubois, Mercure, un Éthiopien
Marie Kalinine, Méduse
Thomas Dolié, Sténone, un Éthiopien, un Cyclope, un Triton
Zachary Wilder, Euryale
Le Concert Spirituel
Hervé Niquet, direction.

Théâtre des Champs-Élysées – 6 avril 2016

Ce Persée sera donné à nouveau le 15 mars à l’Opéra royal de Versailles.

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