Distant n’est pas royal

par Loïc Chahine · publié vendredi 23 octobre 2015

Il y a des concerts auxquels on ne se rend pas sans une certaine appréhension. Tel était le King Arthur donné conjointement par La Fenice et Vox Luminis — et c’est surtout ce second ensemble qui cristallisait les attentes : à force d’être loué hautement, on finit par se dire que, tout de même, ça doit bien être bien. Nous l’avions déjà entendu au festival de Sablé sans être convaincus par la lecture adoptée (très sobre, pour ne pas dire dépouillée), selon nous en décalage complet avec le répertoire, qui appelait davantage de brillant et d’investissement dramatique. Bon, cela arrive, nous verrons ce qu’il en sera à Ambronay ; Vox Luminis est de toute façon davantage prisé pour ses interprétations de musique nordique que pour ses incursions sudistes, donc Purcell, ça devrait bien correspondre. Las ! quel ne fut pas notre désappointement !

Faut-il en tel cas passer sous silence, faire comme si rien n’avait eu lieu ? C’est tentant, mais au bout du deuxième concert « à côté de la plaque », ne serait-ce pas un peu malhonnête ? D’autant que ce soir-là, dans l’abbatiale d’Ambronay, nous étions deux rédacteurs du Babillard, et tous deux nous avons eu, sans nous concerter (et même étant dotés l’un et l’autre, en mainte occasion, d’un certain esprit de contradiction vis-à-vis l’un de l’autre), à peu près le même sentiment.

Pourtant, cela commençait bien : dans l’ouverture, l’orchestre, La Fenice, en effectif relativement réduit, arbore de belles couleurs, une netteté appréciable et une absence de bling-bling bienvenue — bref, un mélange de chatoiement et de sobriété que ne démentira pas la suite de sa performance. Du côté du chœur (Vox Luminis, donc), on ne peut que louer la qualité technique : tout est impeccablement en place et d’une parfaite justesse d’intonation, et ces qualités, ainsi que la rondeur du son, éclatent dans le chœur des Prêtres qui ouvre le premier acte. Mais au bout d’un moment, cela ne suffit pas. Où est, un peu plus loin, dans les réponses de l’air avec trompette du British Warrior, le côté martial, l’enthousiasme ? On est frappé de voir tous ces chanteurs le nez dans leur partition, qui ont l’air de découvrir ce qu’ils chantent au fur et à mesure qu’ils le lisent — et de fait, c’est l’impression que l’interprétation donne. Tout se situe dans une espèce de moyen terme, jamais vraiment dans le texte et dans ses accents, jamais vraiment assumé ni dans les nuances, ni dans les articulations, ni dans le rendu de la polyphonie : ce n’est ni mauvais, ni bon, mais ennuyeux.

Chez les solistes — on regrette d’ailleurs de ne pas savoir qui chante quoi, ce que le programme ne précise pas —, la moisson est de qualité diverse. Certaines voix n’ont clairement pas leur place dans un concert de cette envergure (un samedi soir, à 20h, dans l’abbatiale pleine à craquer, au festival d’Ambronay), comme tel contre-ténor au timbre faible et passablement désagréable, à la voix sans puissance et à la maîtrise technique plus que discutable ; tel baryton-basse ferait bien de se préoccuper de celle avec qui il chante quand il est en duo, plutôt que de chanter dans son coin en ayant l’air de se rengorger de sa partie avec une suffisance à peine croyable. Les sirènes du début de l’acte IV ont à peu près autant de sensualité qu’un contrôleur fiscal. À un aimable génie du froid (pris au bon tempo par Jean Tubéry : on y sent l’influence du chœur du froid d’Isis de Lully), doté d’une belle voix, répond un chœur sans aucune théâtralité ; on ne comprend pas bien, au total, si ce célèbre passage a été tiré vers sa composante comique (ce qui ne serait pas hors de propos) ou vers quelque chose de plus tragique : il reste dans la banalité. On est surpris de la fadeur avec laquelle on peut chanter «How happy» dans la chaconne des Sylvains et des Nymphes.

Certes, on pourra sauver tel ou tel moment, comme l’air du British Warrior, où le ténor se montre très impliqué et faisant de louables efforts pour varier ses effets (et de même pour l’air d’Éole), les solos de soprano dans la chaconne déjà citée, où la musique prend véritablement sens, avec une urgence dans certaines phrases musicales tout à fait palpitante, ou bien le duo entre He et She peu avant la fin de l’œuvre, où les deux voix s’accordent véritablement — en réalité, les passages réussis donnent l’impression d’une bouffée d’air frais au milieu de la médiocrité ambiante. Dans l’ensemble, et malgré une partie instrumentale plus qu’honorable, on ressort de ce King Arthur assez dépité, et en se disant que si l’on désigne par “anglais” un caractère plutôt coincé, froid et hautain quoique parfaitement poli, si l’on entend par le goût “anglais”, à l’image de la représentation qu’on a de sa cuisine, ce qui est à peu près sans saveur les trois quarts du temps, alors effectivement, c’était très “anglais”.

INFORMATIONS

Henry Purcell : King Arthur.

Vox Luminis (dir. Lionel Meunier)
La Fenice
Jean Tubéry, dir.

Concert donné le 19 septembre à 20h dans le cadre du festival d’Ambronay.

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