Fastes flamando-florentins

par Loïc Chahine · publié dimanche 22 mai 2016 ·

Quand je lisais Cesare, il creatore che a distrutto, remarquable manga consacré à César Borgia, j’avais cherché de la musique qui puisse aller avec et constituer, pour ainsi dire, une sorte de bande-son. Le nom de Heinrich Isaac s’est rapidement imposé ; nom connu, bien sûr (et l’on est toujours un peu surpris qu’Anton Webern ait fait sa thèse à son sujet en 1906), mais pourtant assez peu illustré au disque (si l’on excepte, en particulier, celui, très beau, de la Capilla Flamenca et, un peu plus récemment, la Missa Misericordias Domini par Cantica Symphonia). Disons-le d’emblée : la Missa Virgo prudentissima telle que ressuscitée par l’ensemble Gilles Binchois et Dominique Vellard, accompagnée de plain-chant liturgique florentin conservé dans le manuscrit N. 41 du Duomo, constitue un apport décisif à la discographie, tant pour la qualité de la musique que pour la beauté de l’interprétation.

« Ses sonorités monumentales, liées à la texture des six voix — utilisée principalement pour la variété des timbres mais parfois pour la plénitude du son —, l’utilisation inventive de son cantus firmus, et l’écriture contrapuntique, aboutie et sûre, en font l’une des partitions les plus réussies du maître flamand. » C’est ainsi que Giovanni Zanovello présente la Missa Virgo prudentissima dans le livret du disque, et ces mots sont si justes que nous avons préféré les citer littéralement que les reformuler ou les paraphraser : ils résument admirablement le sentiment qui se dégage à l’écoute du disque.

L’ensemble Gilles Binchois y excelle à mettre en valeur toutes les qualités de cette musique, que ce soit, en effet, la plénitude du son, ou la clarté du contrepoint — on admire l’équilibre autant que le surgissement dans la polyphonie de telle ou telle note un peu surprenante, mise en valeur sans pourtant briser le tout. Il y a un agrément plastique du son, mais aussi une clarté intellectuelle qui plaît à l’esprit. On pourrait se demander dans quelle mesure il est bien catholique d’avoir autant de plaisir à écouter une messe : nous ne nous le demandons pas, nous nous contentons de le constater et d’en profiter.

Au reste, le faste déployé n’est jamais outrancier — on admire à tout moment le remarquable équilibre de l’ensemble, son sens des proportions justes pour à la fois guider l’écoute sans forcer l’effet —, mais il est bien présent, et les six voix s’élancent véritablement avec une conviction palpable dans ces œuvres, de sorte que l’on ne s’ennuie pas un moment, que ce soit dans les passages polyphoniques ou dans le plain chant, et l’on se laisse porter de bout en bout par ce disque calmement fascinant. On ne saurait toutefois bien dire pourquoi, et par endroits, on ne peut que constater un certain échec de l’analyse entièrement rationnelle : dans ce genre de musique, il y a souvent un « je ne sais quoi », un peu insaisissable, qui fait que, d’un seul coup, « ça marche », ou plutôt, « ça touche », ça plaît, ça séduit. Ce « je ne sais quoi », l’ensemble Gilles Binchois le possède assurément puisque cette superbe cérémonie autour de la Missa Virgo prudentissima nous séduit, nous plaît, nous touche.

Extrait

Missa Virgo Prudentissima, Kyrie

INFORMATIONS

Heinrich Isaac : Missa Virgo Prudentissima

Ensemble Gilles Binchois
Dominique Vellard, dir.

1 CD, 64’50, Evidence, 2016.

Ce disque peut être acheté en suivant ce lien.

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