Zamboni, ou le retour vers le passé

par Wissâm Feuillet · publié mardi 17 mai 2016 · ¶¶¶¶

Plutôt méconnu sauf de quelques luthistes avisés, Giovanni Zamboni est une véritable curiosité de l’histoire de la musique : en plein xviiie siècle, il compose — audace ou folie ? — des madrigaux à quatre voix et basse continue, et des sonates pour luth. Alors que nous scandons, avec Rimbaud, qu’il faut être « voyant » ou « absolument moderne », Zamboni, lui, semble se moquer de la modernité, car, il faut le dire, écrire des madrigaux vers 1755 (transmis par deux cahiers manuscrits) et des pièces pour luth, imprimées en 1718, c’est un peu faire œuvre d’archaïsme. Mais Zamboni ne fait pas une redite de Monteverdi ou de Mézangeau : il se réapproprie ce langage ancien en s’inscrivant pleinement dans son siècle. C’est ce paradoxe que l’ensemble Faenza a voulu défendre. D’abord surpris, nous avons été pleinement conquis à la fois par cette musique éloquente et par l’admirable interprétation qui en est faite.

Le disque s’ouvre sur le madrigal « O come sei gentile ». Ces quatre mots, pour qui connaît Monteverdi, ne sont pas anodins, puisque le maître vénitien a mis en musique le même poème de Guarini (livre VII de ses propres madrigaux). Quel ne fut pas notre étonnement en découvrant que Zamboni et Monteverdi puisaient aux mêmes sources poétiques ! (Le Cavalier Marin est aussi bien représenté.) Si le choix des poèmes de Guarini est naturel pour Monteverdi, il est bien plus étrange pour Zamboni qui s’évertue, en pleine révolution scientifique, en plein siècle des Lumières, à prêter sa voix à ces petits poèmes d’amour et de mort pleins de concetti et de métaphores précieuses. Le résultat n’en est pas moins probant : non sans gravité, mais avec une légèreté toute dixhuitiémiste, les quatre chanteurs, soutenus par un continuo riche et coloré où les cordes pincées sont bien représentées, rendent parfaitement justice à ces pages où texte et musique sont en parfaite adéquation ; et surtout, ils savent mettre en lumière le délicat double-tranchant de cette musique, dont l’influence ancienne est enrichie par une tradition opératique déjà longue.

Pleins d’interjections plaintives, de « O » contemplatifs, ces madrigaux sont de véritables scènes tragiques miniatures où se déchaînent les passions : c’est le cas de « Ah, dolente partita » ou de « O memorie funeste ». « Tormento », « martire » et « inferno » fusent de toutes parts, soutenus par des voix impeccables qui construisent une polyphonie extrêmement expressive, tout en nuances. Saluons tout particulièrement la performance de Jeffrey Thompson, qui n’est pas à sa place uniquement dans le répertoire anglais, et celle de Lucile Richardot, révélation récente que nous ne nous lassons pas d’entendre, tant sa voix possède un grain indescriptible, à mi-chemin entre un timbre de contralto et celui d’un contre-ténor. Puisse-t-elle commettre rapidement d’autres belles réussites et garder cette liberté de ton !

La partie instrumentale du disque, moins conséquente que la partie vocale, n’est pas en reste. Marco Horvat y donne à entendre quelques unes de ces fameuses sonates pour luth qui, contrairement aux madrigaux, inédits, avaient déjà été enregistrées au moins deux fois. Cette musique, élégante et ingénieuse, n’a certes pas le pouvoir de séduction des madrigaux, mais elle n’est pas inintéressante. Si l’harmonie n’est pas chargée, et même assez ténue, Zamboni fait quelques heureuses trouvailles mélodiques que Marco Horvat fait chanter avec limpidité. La question du choix de l’instrument s’est posée : de quel luth Zamboni pouvait-il bien disposer ? Un luth 13 chœurs à l’allemande ? un luth 11 chœurs à la française ? Cela semble peu probable, d’où le choix d’un archiluth, et plus exactement, d’un théorbe monté en archiluth dans un ton plus grave. L’Arpeggio de la Sonate VIII, arpégé à la manière de Bach, fait sourire ; quant à la Ceccona (chaconne), on est heureux d’y entendre la guitare adroite de Charles-Édouard Fantin.

S’ajoutent à ces pièces de luth deux arrangements pour harpe de madrigaux, réalisés par Maria-Christina Cleary. Fort bien joués et joliment transcrits, ces madrigaux à la harpe restent toutefois un peu en retrait. À vrai dire, compte tenu de la haute qualité des chanteurs, on aurait préféré entendre ces deux pièces vocales dans leur formation originale.

Cet enregistrement impressionne à plus d’un titre, tant par la qualité de la musique que par celle des interprètes. Au-delà de ces qualités, on prend plaisir à découvrir cet oublié de l’histoire de la musique qui réinvestit de façon étonnante une forme dont on croit généralement qu’elle n’est liée qu’à un certain contexte historique (la deuxième moitié du xvie siècle et le début du xviie), presque figée dans cette temporalité. Nous voilà agréablement détrompé par l’ensemble Faenza.

Extraits

«O come sei gentile»

«Ah, dolente partita»

Sonata VIII, Arpeggio

INFORMATIONS

Giovanni Zamboni : Madrigali e Sonate

Ensemble Faenza
Marco Horvat, théorbe, archiluth et direction.

1 CD, 68’07, AgOgique, 2015.

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