Tassis Christoyannis, dit Chrysostome

par Loïc Chahine · publié mercredi 18 novembre 2015 · ¶¶¶

De l’œuvre d’Édouard Lalo, la postérité n’a pas retenu grand-chose ; même sa Symphonie espagnole — qui pourrait paraître un bon résumé de la personne du compositeur, puisqu’il était lui-même d’origine espagnole et débuta la musique par le violon —, régulièrement jouée et enregistrée il y a encore quelques décennies, semble aujourd’hui avoir moins d’attrait pour les orchestres et violonistes. De larges pans de son œuvre restent à redécouvrir, comme par exemple ce ballet, Namouna, dont la musique fut saluée par Fauré, Chabrier et Debussy, ce qui n’est tout de même pas le marque d’une pièce sans intérêt.

Les premières œuvres que nous connaissions de Lalo semblent être des mélodies — L’Ombre de Dieu et L’Adieu au désert, composés en 1848, et les Six Romances populaires de Béranger, publiées en 1849 ; jusqu’en 1887 (Le Rouge-gorge), le compositeur cultivera régulièrement le genre de la romance ou de la mélodie avec un peu plus de trente pièces, dont les plus courtes durent à peine plus d’une minute, et la plus longue (Le Novice) presque un quart d’heure — elle est d’ailleurs sous-titrée « scène ». Entre 1848 et 1887, le genre lui-même évolue, et le corpus que constituent les mélodies de Lalo est le témoin de cette évolution.

Si la mélodie est un genre qui a d’abord fleuri dans les salons — Lalo les fréquentait, et tenait d’ailleurs le sien aussi —, cela ne signifie pas que ce soit une musique que l’on écoute d’une oreille distraite, en faisant tout autre chose. Il faudra prêter l’oreille pour goûter ces pièces, car leur éclat est subtil et ne s’impose qu’à celui qui veut bien prendre la peine de le saisir.

On dit souvent que la poésie ne raconte pas d’histoire ; pourtant, parmi les grandes Romances de Béranger, on trouvera bien des éléments narratifs, et plusieurs d’entre elles (« La Pauvre Femme », « Les Suicidés », « Le Vieux Vagabond ») sont les portraits de vies. La tonalité est sombre et jette un regard critique et désabusé sur la société. Ici, plus que jamais, et de manière générale dans l’ensemble du premier disque qui regroupe les premières mélodies de Lalo, il ne faut pas penser vraiment à de la musique avec du texte, mais bien à une poésie mise en musique. Ladite musique, d’ailleurs, est relativement répétitive, les pièces fonctionnant quasiment toutes par couplets, et il faudra, si l’on veut les goûter, prêter attention à ce qui se raconte. Comment résister, alors, aux « Vieux Vagaond » de Béranger, assurément un chef d’œuvre poétique ?

Le second disque regroupe des mélodies d’allure plus habituelle. On appréciera particulièrement l’invention dont fait preuve Lalo, que ce soit dans la partie chantée, aux accents parfois surprenants, ou dans celle du piano, souvent originale et variée d’une pièce à l’autre. Bon nombre de ces petites pièces, à commencer par la toute première, « Guitare », sur un poème, excusez du peu, de Victor Hugo, ou comme « La Zueca », avec des vers cette fois d’Alfred de Musset, sont pleines de caractère et de charme.

Tassis Christoyannis, comme souvent, donne ici une leçon de chant. L’articulation est impeccable à chaque moment — on n’a guère besoin de recourir aux textes qui figure dans le livret —, les accents et le timbre sont variés avec subtilité, sans aucun histrionisme. La manière dont il conduit la vaste scène Le Novice est un modèle, tant du point de vue des inflexions du chant que du sens dramatique jamais vulgaire qu’il y distille. Ces qualités sont celles de l’ensemble des deux CD. Pour le soutenir, le jeu du pianiste Jeff Cohen, sans toutefois déclencher l'enthousiasme faute d'un manque de variété dans le toucher, demeure honorable et accompagne bien le chant.

Prenant la suite de l’exceptionnel disque de romances de Félicien David, mais sans s’élever tout à fait aux mêmes cimes, cette intégrale des mélodies d’Édouard Lalo est plus que bienvenue et, grâce à la performance de haut vol de Tassis Christoyannis qui semble transformer en or tout ce qu’il chante, prend sa place aux côtés de plusieurs très beaux récitals de mélodies françaises qui ont paru récemment. Puisse cet élan ne pas se tarir !

Extraits

« Guitare »

« Le Vieux Vagabond »

INFORMATIONS

Édouard Lalo : Intégrale des mélodies

Tassis Christoyannis, baryton
Jeff Cohen, piano.

1 CD, 70’+60’, Aparté avec le soutien du Palazzetto Bru Zane, 2015.

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