Quand le Zéphyr souffle en Brandebourg

par Wissâm Feuillet · publié mercredi 31 octobre 2018 · ¶¶¶¶

Face au monument des Concertos brandebourgeois, quel enregistrement peut aujourd’hui prétendre s’imposer devant les autres, quand les autres sont — pour ne citer que quelques versions phares — l’Akademie für Alte Musik Berlin, Musica Antiqua Köln, Le Concert des Nations, Il Giardino Armonico, ou plus près de nous le Freiburger Barockorchester ? Autant l’écrire d’emblée, la gravure de l’ensemble Zefiro, en ce qu’elle présente des partis-pris clairs, assumés et peut-être assez peu conventionnels, rejoint les versions de premier plan.

Ces partis-pris commencent avec le choix des tempos, ô combien délicat s’agissant des Brandebourgeois : non seulement la plupart des mouvements introducteurs sont dépourvus d’indication, mais il semble qu’aucun ensemble, face à cette partition, n’entende de la même manière « allegro » ou « presto ». Zefiro fait le choix de l’enjouement, voire de la rapidité et parfois, plus étonnamment, de l’agogique : ce qui à la première écoute semble peut-être n’être qu’une crâne précipitation ne gêne plus ensuite. Une joie jubilatoire préside à cette lecture, qui est de nature à faire reconsidérer celle du Freiburger Barockorchester, par exemple, trop appesantie à certains endroits. Bien plus que les tempos, ce sont les dynamiques qui frappent par leur justesse et leur expressivité : il n’est que d’écouter le premier mouvement du troisième concerto pour sentir palpiter une force qui, progressivement, croît et finit par se déchaîner, ou encore le mouvement délicat et sensible de la basse dans l’« Andante » du deuxième concerto.

L’ensemble Zefiro fait aussi montre d’une intelligence des textures particulièrement séduisante en ce qu’elle rend justice à l’extrême variété de ces œuvres. Dans le cadre de ces concertos à plusieurs instruments où chacun est, en quelque sorte, soliste (il s’agit, après tout, d’une manière de concerti grossi à l’italienne), cette qualité s’avère salutaire : si l’orchestre parvient, dans les tutti, à constituer une pâte homogène, les groupes d’instruments, dès qu’ils ont à assurer le moindre discours soliste, se détachent toujours avec netteté et beaucoup d’élégance. Dans le premier concerto, la paire de cor lance des hallalis si tranchés qu’il est aisé de se figurer une scène de chasse ; dans le deuxième concerto, ce sont les anches doubles qui se distinguent par leur précision et leur chaleur ; dans le troisième concerto ce sont les altos qui, contrairement à l’habitude qu’ils ont de paraître invisibles, sonnent haut et clair… En cela, l’interprétation de Zefiro, sans s’opposer aux versions existantes, adopte un point de vue quasi chambriste qui n’étourdit pas : la « masse » orchestrale est dense et légère à la fois, ce qui permet de mieux goûter l’écriture de toutes les parties.

Pour compléter les deux disques, l’Ouverture no 2, bwv 1067, par sa forte dimension concertante, trouve sa place aux côtés des Brandebourgeois. La flûte traversière de Marcello Gatti, qui joue les protagonistes, triomphe par son feutré et son moelleux.

Ce disque s’impose parmi les versions de référence que tout amateur des Brandebourgeois gagnera à posséder : cette interprétation vive, sanguine, colorée ne succombe jamais à la tentation du « vite fait, bien fait » ou des séductions faciles et se révèle, se déplie au fil des écoutes.

Extraits

Deuxième Concerto, Premier mouvement

Troisième Concerto, Premier mouvement

INFORMATIONS

Bach : Concertos brandebourgeois

Ensemble Zefiro
Alfredo Bernardini, hautbois et dir.

2 CDs, 53’12 & 58’46, Arcana, 2018.

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