Messie d’anniversaire

par Loïc Chahine · publié samedi 2 decembre 2017 ·

« Pourquoi un énième Messie, d’abord ? » Cette question brûlera les lèvres (et les plumes) de bien des mélomanes — et Hervé Niquet a le bon sens de la poser d’emblée dans son texte de présentation. Le chef confesse avoir voulu, au bout de trente années à la tête du Concert Spirituel à défricher un répertoire généralement inconnu (des Motets de Jean Gilles enregistrés en 1989 à une récente version inédite de Persée de 1770), livrer aussi « sa » version du Messie, parce que, tout simplement, l’œuvre lui tient à cœur et qu’il sent qu’il a quelque chose à lui dire. Frappé par l’enregistrement dirigé par Christopher Hogwood, il a voulu en prolonger le geste, à sa manière, et en profitant des acquis techniques, musicologiques et organologiques des vingt-cinq ans qui nous séparent de cette version-phare.

Ce qui fait la réussite de ce nouveau Messie, c’est d’abord la beauté du chœur. Hervé Niquet le rappelle dans le livret : il aime son chœur, et le chœur est « le sixième personnage » — on serait même tenté de dire qu’il est le premier, car il a plus a chanter qu’aucun des solistes. Peu de chœur peuvent, comme le Concert Spirituel, se vanter d’offrir une telle variété dans les sonorités, dans les intonations. Précis et ample, il magnifie bien des pages (« Great was the company », « Their sound is gone out ») ; poignant, il émeut par son intensité dans les parties lentes de « Since my man came death ». Ceux qui aiment les chœurs diaphanes et transparents, si à la mode aujourd’hui, passeront leur chemin : ici, il y a du corps, de la matière, même un peu d’aspérité — bref, de l’humain. C’est sans doute même cet humain qui ne cherche pas une pure perfection plastique, abstraite, qui permet la variété.

L’orchestre n’est pas en reste. On retrouve avec bonheur sa belle assise, la richesse de sa sonorité. Sans jamais couvrir les chanteurs ou le chœur, il ne s’efface pas derrière eux. Il les complète. Les basses sont particulièrement belles : d’une grande présence, elles n’en deviennent pas ronflantes et tonitruantes. Cette présence équilibrée a quelque chose de profondément rassurant et réjouissant. L’ensemble de l’orchestre a quelque chose de totalement dénué d’affectation qui s’avère fort plaisant : comme une impression d’être à l’essentiel.

Parmi les solistes, le ténor Rupert Charlesworth déploie un timbre chaleureux, rond et sonore, allié à une aisance et un sens du texte qui parviennent, nous semble-t-il, à une véritable plénitude. Le timbre de l’alto Anthea Pichanick est surprenant, étonnant mélange de clarté et de voile, non dénué de charme d’ailleurs. Elle offre en particulier un « He was despised » très dramatique, viscéralement dramatique, pas du tout survolé ni survolté. Le baryton-basse Andreas Wolf ne cherche pas à « tuber », et l’émission semble très directe ; il en résulte une agréable franchise, loin de toute caricature de « la voix grave ». Parmi les deux sopranos, enfin, Sandrine Piau ne démérite pas, mais se fait voler la vedette par sa jeune consœur Katherine Watson la surpasse en finesse et en intensité.

Hervé Niquet dirige l’œuvre avec mouvement, mais sans jamais presser exagérément. Une version dramatique ? Oui, mais sans excès. René Jacobs avait déjà offert une version très tendue. Hervé Niquet va plus loin : « He trusted in God », par exemple, est d’abord presque murmuré, et sonne méchamment ironique, avant, plus loin, de se révéler plus agressif. Mais la véritable violence, celle qui prend, est réservée pour « Let us break their bonds ». L’ « Hallelujah » est commencé relativement en douceur, comme d’un peu loin : Hervé Niquet l’avait expliqué, c’est la lecture de l’orchestration qui guide ce choix, et la manière dont le mouvement se déploie est impressionnante. Partout les nuances sont véritablement belles — on est bien en peine de les qualifier autrement —, et certains crescendos sont, quant à eux, impressionnants.

Autre qualité, le mouvement de la phrase musicale est souvent bien mis en valeur, très dirigé justement vers les temps fort — ceux du texte et de la musique. Que l’on écoute le chœur chanter « Surely », avec une rare force du mot, et l’on sera convaincu de l’importance, du sérieux avec lequel le texte est traité comme un élément véritablement aussi musical que la mélodie et l’harmonie.

Pour ses trente ans, le Concert Spirituel offre une version du Messie loin de la crème et des tartines, une version vive et profonde, dénuée de tout bavardage, habillée d’honnêtes séductions, et où l’on sent une forme de tendresse et de sincérité.

Extraits

Chœur ”Surely he hath borne our griefs”

Chœur ”Since by man came death”

INFORMATIONS

Händel : Messiah

Foundling Hospital Version 1754

Sandrine Piau, Katherine Watson, soprano
Anthea Pichanick, contralto
Rupert Charlesworth, ténor
Andreas Wolf, baryton-basse

Le Concert Spirituel
Hervé Niquet, dir.

Livre et 2 CD, 116’22, Alpha Classics, 2017.

D’AUTRES ARTICLES

Visée aux vents. Robert de Visée, La Musique de la Chambre du Roy • Manuel Strapoli et al..

Tourments, mais encore ?. Anima Sacra

Jakub.

Un autre Faust. Gounod : Faust • Les Talens lyriques, Christophe Rousset.

Mafalde corte con Zucchine e Gamberetti

On dit toujours force mal des réseaux sociaux, mais sans…