Fauré de chevet

par Loïc Chahine · publié mercredi 5 juillet 2017 ·

Thibaut Lenaerts est un artiste discret. Seuls les plus attentifs, sans doute, auront remarqué son nom qui accompagne souvent celui du Chœur de chambre de Namur ; seuls les plus curieux auront entendu l’un des rares disques où on l’entend « en solo », consacré à des airs d’opéras-comiques arrangés par Ignaz Vitzthumb. Le retrouver ici dans des mélodies de Fauré, accompagné sur un beau piano Érard par Philippe Riga, nous réjouit.

Le disque réunit des pièces bien connues, comme « Après un rêve » ou « Clair de lune », mais aussi d’autres plus rares, telles cette « Tristesse d’Olympio » qui ne porte pas de numéro d’opus. L’enchaînement des mélodies tombe souvent très juste. C’est le cas, par exemple, des « Berceaux », qui installent un dramatisme puissant mais contenu, que suivent un « Secret » d’une grande épure qui permet ensuite de passer aux « Roses d’Ispahan », plus optimistes, rayonnantes (même si aujourd’hui, Mossoul ne fait, hélas, plus penser à ses jasmins évoqués ici par Leconte de Lisle — ce qui rend peut-être l’œuvre encore plus touchante).

La voix, sans doute, déroutera bien des gens de prime abord ; peu « lyrique » finalement, le chant de Thibaut Lenaerts s’installe dès le timbre dans une espèce de simplicité, voire de naturel, qui masque l’assurance technique pour ne donner l’impression que d’une facilité excessivement charmante. La ligne est bien là, continue, portée par un phrasé long, le texte est superlativement rendu, et l’ensemble s’avère aussi juste que touchant. Touchante, la légèreté de la première mélodie, « Le Papillon et la fleur ». Touchante, la tension comme à fleur de peau de certains moments de « L’Absent » ou de « Tristesse » (le refrain, « J’ai dans le cœur une tristesse affreuse »). Touchant jusque dans les détails, comme l’effet que produisent les aigus du ténor dans « L’Absent » ou dans « Les Roses d’Ispahan », touchantes les fines nuances, jamais outrées, jamais trop murmurées, toujours savamment dosées (par exemple dans « Le secret »).

Il faut ajouter que ce chant sans affectation s’accorde bien avec celui du piano Érard, moins brillant, plus mat, mais aussi plus humain. Philippe Riga apporte au discours pianistique une noble clarté qui ne le laisse jamais dans l’ombre. Son jeu est en particulier très bien articulé, et met habilement en valeur l’écriture de Fauré. Sans surjouer, sans faire étalage de sa présence, la même évidence se dégage de son jeu que du chant de Thibaut Lenaerts.

Oui, c’est bien un sentiment d’évidence qui domine quand on réfléchit sur ce disque : l’évidence que Fauré, qui, avec trop d’affectation, paraît parfois, en ses mélodies, un peu kitsch, est ici dans son élément, avec partout une idéale justesse du ton, et que l’on touche ici à l’essence même de ces mélodies — jamais nous ne les avions tant aimées, et pour nous, ce disque est peut-être ce qui est arrivé de mieux depuis longtemps au mélodies de Fauré. Thibaut Lenaerts et Philippe Riga signent ici une lecture où cet essentiel vous saute aux oreilles pour ne plus vous quitter, et offrent un disque personnel et terriblement attachant.

Extrait

Les Roses d’Ispahan

INFORMATIONS

Fauré : Mélodies

Thibaut Lenaerts, ténor
Philippe Riga, piano Érard 1873

1 CD, 53’10, muso, 2017.

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