Portrait pour approfondir

par Loïc Chahine · publié mercredi 29 mars 2017 · ¶¶¶

Ce coffret, publié par Ricercar, se veut un portrait de Georg Philipp Telemann (1681–1767), publié à l’occasion des 250 de sa mort. Comment résumer une œuvre colossale (plus de deux milles cantates, des centaines de concertos et d’« Ouvertures-Suites », autant d’œuvres de musique de chambre) en huit disques ? Le premier mérite des enregistrements ici réunis, lesquels avaient été déjà publiés auparavant par le même label, est d’aborder tous les genres où s’est illustré le compositeur : on trouvera des concertos (CD 1), beaucoup de musique de chambre (sans doute le domaine où Telemann réussit le mieux), mais aussi la musique religieuse, nettement moins fréquentée, avec une Matthäus-Passion de 1746, et quelques cantates.

Musique instrumentale

Le catalogue Ricercar, en revanche, comptait de nombreux enregistrements du flûtiste à bec Frédéric de Roos, avec le Ricercar Consort et l’ensemble La Pastorella, réalisés entre 1988 et 1999, de sorte que l’instrument se taille la part du lion. Quoique ce soit l’une des captations les plus anciennes, les concertos et la suite avec flûte à bec concertante en la mineur (CD 1) séduisent. L’ornementation est vive et inventive, les parties « orchestrales » trouvent un bon équilibre avec les solistes (outre Frédéric de Roos, c’est Philippe Pierlot à la viole, c’est Marc Minkowski au basson, et Patrick Beuckels, à la flûte). Deux des concertos les plus réussis de Telemann se trouvent là : celui pour flûte à bec et basse de viole en la mineur twv 52:a1, et celui pour flûte à bec et flûte traversière en mi mineur twv 52:e1. Le Presto final de ce dernier rappelle la fascination qu’ont exercé sur Telemann les musiques populaires qu’il a entendues en Silésie lorsqu’il y séjourna épisodiquement entre 1705 et 1708.

Du côté des œuvres chambristes, on a connu depuis des lectures plus animées des Quadri pour flûte, violon, viole de gambe et basse continue (1730), mais celle proposée ici (CD 6, Ricercar Consort) ne démérite guère. On a un peu plus de peine avec certains trios (CD 2 en particulier) où l’aménité sonore et la vivacité du discours viennent parfois à faire défaut. Toutefois, il faut relever le très beau quatuor en sol mineur twv 43:g2 (début du CD 2, Ricercar Consort), qui rappelle que Telemann appréciait tout particulièrement cette forme, et où le phrasé (Adagio) peut être enchanteur.

Mais il n’y a pas que le Ricercar Consort, dans ce coffret. Une autre génération d’interprètes a su se faire une (modeste) place, en particulier dans le domaine des anches, avec deux écoles fort différentes : celle de Benoît Laurent, d’une part, dans la lignée de Marcel Ponseele et du son de hautbois « baroque » très doux, très hautbois d’amour même sur un hautbois « normal », et celle, plus originale, de l’ensemble Syntagma Amici, dont on retrouve les membres dans le fugace ensemble Eolus (CD 4).

Elsa Frank, Johanne Maitre et Jérémie Papasergio ont bien l’habitude de jouer ensemble : on les entend régulièrement avec l’ensemble Doulce Mémoire. C’est en s’appuyant sur cette expérience de ce qu’était le hautbois avant le baroque, mais aussi sur des recherches avancées, en particulier celles du regretté Bruce Haynes, aussi bien dans les traités que sur les anches conservées, qu’ils tentent une reconstitution d’anches « historiques » ; car pour les hautbois et les bassons, l’anche change beaucoup le son, et négliger ce paramètre n’est pas faire œuvre totalement historiquement informée. Il est donc fort heureux que l’aboutissement de ces recherches (plusieurs CD) ait trouvé sa place dans ce coffret. Les sonorités sont surprenantes, de prime abord, mais vivent ! Si le son est plus clair, il est aussi plus souple et permet davantage de nuances. Au sein de l’ensemble Eolus, les anches sont rejointes par Jean-François et Pierre-Yves Madeuf aux cuivres (trompette et cors) qui ont mené des recherches similaires dans leur domaine. Cela rappelle aussi que le xviiie siècle nous a laissé de la musique sans cordes. Cette vision sonore mérite d’être connue et appréciée — et on en redemande !

Musique sacrée

Du côté de la musique sacrée, on retrouvera la cantate Du aber Daniel, probablement la plus célèbre de Telemann, « écrite peut-être durant [le] séjour à Sorau et Eisenach (1705–1712) » (J. Lejeune), avec, à nouveau, le Ricercar Consort — un enregistrement devenu classique dans la discographie de Telemann, réunissant Greta De Reyghere, James Bowman, Guy de Mey et Max Van Egmond pour l’équipe vocale, et, excusez du peu, François Fernandez, Philippe Pierlot et Sophie Watillon,, Roel Dieltens, Hugo Reyne au hautbois et Marc Minkowski au basson… Un petit bijou !

À l’autre bout (ou presque) de la chronologie de Telemann, une Matthäus-Passion de 1746 illustre un style tout à fait différent, déjà plutôt galant, « pré-classique », dit-on ; l’enregistrement, à notre connaissance jusque là inédit, réunit le Chœur de chambre de Namur et Les Agrémens sous la direction de Wieland Kuijken, enregistrée en live en 2002. Il s’agit d’une œuvre sobre : point de grand chœur comme chez Bach, rien que des chorals et des turbae brèves ; des airs et des récitatifs. Les airs sont assez flamboyants, certes, et contrastent avec des chorals presque dépouillés. Il convient toutefois de reconnaître qu’on a connu les interprètes en meilleure forme ; les chœurs auraient gagné a être plus divers ; ils ressemblent davantage à une lecture assez littérale qu’à une interprétation — vision peut-être réaliste du point de vue des fidèles, mais peu adapté à un enregistrement qui détache l’œuvre de la liturgie. Les voix sont honorables, sans être exceptionnelles ; l’orchestre Les Agrémens, lui, tire son épingle du jeu avec précision et… agrément ! Bref, une lecture correcte pour découvrir l’œuvre, mais pas forcément la plus enthousiasmante qui soit.

Enfin, quelques cantates de la trois cantates pour alto de l’Harmonisches Gottesdienst sont confiées à Henri Ledroit — peut-être ce qui demeure le plus daté dans le coffret, et pour cause : c’était en 1983.

***

Ce « portrait » aborde donc de nombreux pans de la musique de Telemann. Il y manque toutefois l’un des plus célèbres : celui de la musique « orchestrale », de ces Ouvertures suivies de danses réunies en suites, si abondamment illustrées au disque (on se reportera en particulier aux deux enregistrement de l’Akademie für Alte Musik Berlin, et à ceux, moins célèbres, de l’ensemble russe Pratum Integrum). Il manque également au panorama la musique vocale profane : Telemann a composés des opéras, des airs destinés à être insérés dans les opéras d’autres compositeurs, alors qu’il était directeur de l’opéra de Hambourg, et aussi des cantates profanes. Enfin, une part assez réduite est dévolue au violon et à la flûte traversière, alors même que ces instruments ont reçu, de la part de Telemann, un traitement privilégié.

En somme, il s’agit sans doute là d’un coffret qui n’est pas idéal pour une première découverte de Telemann, en ce qu’une telle première devrait probablement s’appuyer sur des interprétations moins sages ; on ne peut se contenter de ce seul coffret pour aborder Telemann, comme on aurait pu le faire, par exemple, de l’excellent coffret Lekeu chez le même éditeur ; en revanche, il intéressera fort ceux qui aiment déjà Telemann, qui y découvriront des enregistrements pour une bonne partie introuvables, qui viendront enrichir une discographie destinée, on l’espère, à s’enrichir encore.

INFORMATIONS

Telemann, Portrait

Ricercar Consort, La Pastorella, Ensemble Eolus, Lingua Franca, Syntagma Amici, Les Agrémens, Chœur de chambre de Namur

8 CD, 9h57, Ricercar, 2017.

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