In Nomine organorum

par Loïc Chahine · publié mercredi 15 mars 2017 ·

Que peuvent avoir de commun un In Nomine de John Bull et le Lancashire hornpipe Slap and Kiss ? De figurer sur le récent disque de l’ensemble Les Harpies.

Le projet est né d’abord de la rencontre de Freddy Eichelberger avec un orgue, celui de l’église de Saint-Savin, quelque part dans les Pyrénées, un orgue Renaissance, et l’envie d’en faire quelque chose. L’organiste aurait bien pu y proposer un récital en solo, et d’ailleurs il offre à l’instrument quelques grandes pièces seul, mais ce n’est pas un musicien égoïste — d’ailleurs, beaucoup sans doute ne savent pas qui il est, et il faudra évoquer l’ensemble Les Witches pour donner un repère connu —, et avant même de partager avec les auditeurs du disque, il partageait avec quelques comparses musiciens : régale, violon, cornemuse, çà et là colachon, une formation d’apparence bien hétéroclite, autant que le répertoire.

Pourtant, à l’écoute, aucune bizarrerie, aucun heurt, mais tout au contraire l’impression d’une solide continuité — celle qui va du souffle qui anime l’orgue à celui de la régale, du son franc et original de la régale à celui de la cornemuse, de l’ancrage populaire des cornemuses à celui du violon… Bref, Les Harpies, du point de vue des timbres, « fonctionnent ». Mieux : cet assemblage de sons captive, il a quelque chose de fascinant. Quelle franchise, mais quelle poésie aussi !

De même, l’alternance d’éléments fort sérieux, comme des pièces polyphoniques de Palestrina à l’orgue (parfois avec le dialogue du violon), ou le Psaume lxv, et de danses venues de la Grande-Bretagne ou d’Europe de l’Est — cette alternance non seulement apporte de la variété et bannit l’ennui, non seulement justifie la diversité des formations, mais aussi éclaire les unes par les autres, instaure un dialogue, voire une théâtralité.

Le propos est en fait savamment construit : il s’agit d’évoquer le Paradis et l’Enfer ; ainsi, les deux Lancashire hornpipes rappellent une légende : on aurait vu le diable lui-même en danser de tels, oui monsieur !

De tout le disque émane le sentiment d’une évidence, d’une justesse du ton. L’interprétation est animée d’une logique forte : chaque pièce a « ses » sonorités, mais n’en varie pas. On a peut-être l’impression d’un excès, parfois, mais d’un excès salutaire. Bien des liens se tissent : l’autorité de la cornemuse dans Scjaraçule maraçule se retrouve dans l’In Nomine improvisé (piste 9). Ces improvisations, justement, sont d’une telle qualité qu’on les croirait volontiers notées — et c’est dire leur degré d’aboutissement. Il faut s’imaginer, dans cette église perdue quelque part, Freddy Eichelberger avec pour tout support les quelques notes du choral… Tout cela transporte, sans effort on se laisse conduire de recueillement en saltation, d’enthousiasme en enthousiasme ; « nous n’allons pas, on nous emporte » (Montaigne, Essais, II, 1).

Il y a quelque chose de Rabelais et de Jérôme Bosch dans ce voyage-disque étonnant et détonnant, prenant et surprenant, quelque chose, comme chez l’un et chez l’autre, de foisonnant, tantôt d’inquiétante étrangeté, tantôt d’apaisante réjouissance ; toujours délirant et génial.

Extraits

Chorea

In Nomine improvisé

INFORMATIONS

In Nomine

J. Bull : In Nomine
C. Erbach : Ricercar noni toni
Palestrina : Io son ferito ahi lasso
Palestrina & G.-B. Bovicelli : Vestiva i colli e le campagne intorno
Attaignant et Gervaise : Suite de bransles
Danses Kuruc, des iles britanniques, et du Frioul…

Les Harpies
Odile Edouard, violons
Mickaël Cozien, cornemuses et Gaita
Freddy Eichelberger, orgue, cistre et coordination artistique
Pierre Gallon, régale, spinettino et colachon
Guest Harpies : Matthieu Boutineau, régale-spinettino, souffleur

1 CD, L’Encelade, 2017.

D’AUTRES ARTICLES

Visée aux vents. Robert de Visée, La Musique de la Chambre du Roy • Manuel Strapoli et al..

Tourments, mais encore ?. Anima Sacra

Jakub.

Un autre Faust. Gounod : Faust • Les Talens lyriques, Christophe Rousset.

Mafalde corte con Zucchine e Gamberetti

On dit toujours force mal des réseaux sociaux, mais sans…