La victoire en chantant

par Loïc Chahine · publié jeudi 16 février 2017 · ¶¶¶¶

Parmi les célébrations de 2017, en voilà une qui ne sera point oublié : en 1817 mourait Étienne-Nicolas Méhul, et le bienfaisant Palazzetto Bru-Zane n’aurait garde de l’oublier, qui dès l’an dernier a fait enregistrer aux Talens lyriques et à une équipe de solistes de haut vol l’opéra Uthal, de sorte qu’il paraît maintenant, à l’orée de cette année Méhul.

Compositeur assez oublié aujourd’hui, ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il l’est, car Berlioz écrivait déjà dans Les Soirées de l’orchestre : « Il pourra paraître singulier à beaucoup de gens que l’on s’avise, en 1852, d’écrire en France une biographie de Méhul. Comment, dira-t-on, les Français sont-ils à ce point oublieux de leurs gloires nationales […] ? » Certes, comme le rappelle Gérard Condé, quelques enregistrements ont déjà rappelé des œuvres de Méhul aux oreilles d’aujourd’hui, mais disons-le bien : ni L’Irato ni Stratonice n’avaient bien su enthousiasmer le mélomane exigeant.

Il en va autrement d’Uthal, opéra en un acte à sujet ossianique, créé en 1807, avec relativement peu de succès en son temps et qui assurément ne méritait pas un sort si malheureux. Méhul y déploie partout un talent mélodique qui charme, qu’il soutient d’une orchestration intéressante ; le compositeur, en effet, a banni les cordes aiguës : point de violons ici, mais deux pupitres d’altos. Les parties de vents s’en trouvent enrichies. Dès l’ouverture, on est séduit par la teinte sombre de l’orchestre, la répartition quelque peu nouvelle des fonctions, avec des vents aigus qui jouent le rôle mélodique des violons, et une nette impulsion comme souterraine apportée par les cordes. Le problème de Méhul a été mainte fois signalé : il n’avait pas l’art de bien choisir ses livrets. De fait, on se fiche pas mal de ce qui arrivera à dame Malvina, tiraillée entre son père Larmor et son époux Uthal, lequel époux a tenté de renverser ledit père. Le vieux dilemme, sans rien de vraiment neuf. Tout cela ne semble que prétexte à vers et à chants, à quelques situations mais surtout à l’exposition de sentiments et de jolies mélodies. On ne se plaindrait pas qu’Uthal soit considéré, plutôt que comme un opéra, comme une espèce de grande cantate, une suite de morceaux, entrecoupés de dialogues (parlés).

Et comme une exposition de beau chant, car, nous l’avons dit, la distribution à elle seule vaudrait le détour : songez que sont réunis ici Karine Deshayes, Yann Beuron, Jean-Sébastien Bou, Sébastien Droy et même Reinoud Van Mechelen pour un petit rôle ! Il ne sera pas besoin de détailler les qualités et les défauts de chacun : tous sont assez connus, et tous sont ici dans une forme superlative, non moins d’ailleurs que le moins connu Philippe-Nicolas Martin, à qui revient la partie soliste de ce qui constitue, selon nous, l’un des sommets de la partition, le « Chant des bardes », où sa voix se détache de celle des autres pour raconter une bataille. Il n’est aucun passage de l’œuvre qui soit laissé dans l’ombre, qui soit traité avec moins de soin ; enfin, le texte est toujours parfaitement intelligible.

Christophe Rousset montre ici encore que la musique du deuxième xviiie siècle, voire du début du xixe siècle, lui réussit parfaitement ; comme dans Les Danaïdes de Salieri, il exalte ici l’urgence dramatique. Avec des tempos toujours justes, le chef délivre ici l’essence de la partition avec une certaine évidence, et évite toujours de la faire paraître outrée ou, au contraire, conventionnelle. (Bon, sauf peut-être l’espèce de gong, au milieu du « Morceau d’ensemble » de la scène 7 : mais il fallait bien le faire, même si c’est un peu kitsch.)

L’orchestre déploie des sonorités somptueuses, rondes, moirées ; il sait se faire incisif, impulsif, tout en évitant la sécheresse qu’on lui trouve parfois chez Rameau ou Lully. Assurément, ce langage classique ou post-classique convient bien aux Talens Lyriques et à leur chef.

Avec cette pléthore de qualité, cet enregistrement d’Uthal vient aisément trouver place en haut de la discographie existante des œuvres de Méhul.

Extrait

Chant des Bardes

INFORMATIONS

Méhul : Uthal

Karine Deshayes, Malvina
Yann Beuron, Uthal
Jean-Sébastien Bou, Larmor
Sébastien Droy, Ullin
Philippe-Nicolas Martin, Le Chef des Bardes, le Troisième Barde
Reinoud van Mechelen, Artavazd Sargsyan, Jacques-Greg Belobo, Bardes

Les Talens Lyriques
Chœur de Chambre de Namur
Christophe Rousset, dir.

1 CD, 60’40, Palazzetto Bru Zane / Ediciones Singulares, 2017.

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